En 1096 le pape Urbain II procède à la consécration de la cathédrale Saint-Nazaire ; il s'agit de la cathédrale romane, dont la nef est aujourd'hui conservée. Un projet de reconstruction du transept et du chœur sur un plan nouveau voit le jour dans le troisième quart du 13e siècle, mais se heurte à la difficulté d'obtenir le terrain nécessaire. Une demande à ce sujet est faite en 1267 par le chapitre auprès du roi Louis IX, qui accorde en 1269 par lettres patentes du 7 novembre deux « cannes » de la rue publique pour « réparer et fonder » le chœur. Les travaux engagés surtout au cours des vingt dernières années du siècle progressent cependant avec une certaine lenteur, en raison de difficultés de financement du chantier ; le diocèse est petit et ses ressources limitées. Les évêques successifs ne cessent donc de renouveler leurs appels aux fidèles et obtiennent plusieurs bulles d'indulgences en faveur de l'église, telles celle accordée en 1291 par le pape Nicolas IV. Le rôle de deux évêques venus du nord de la France, Pierre de la Chapelle-Taillefer (1291-1298), ancien chanoine de Paris, puis Jean de Chevry, originaire de Normandie et archidiacre de Reims (1298-1300) a pu compter dans le choix du parti architectural. En l'absence d'analyse archéologique précise de l'édifice, il est difficile de suivre en détail les étapes de sa construction.
Cependant, avant la restauration menée sous la direction de Viollet-le-Duc, Ferdinand de Lasteyrie, vit dans la baie d'axe (baie 0) des armoiries qui pourraient se rapporter à Bernard de Capendu, évêque de Carcassonne de 1266 à 1278. Cette information ne peut être vérifiée, le blason ayant depuis été éliminé, mais la verrière d'axe occupe assurément une place à part dans le vitrage de l'église, par une conception et une facture qui permettent d'admettre qu'elle a pu être réalisée dans le dernier quart du 13e siècle, comme aussi les sculptures qui ornent les piliers du chœur. A cette date l'élévation du chœur et vraisemblablement aussi celle du bras sud du transept a atteint la hauteur des murs. Cependant, c'est au temps de Pierre de Rochefort, évêque de 1300 à 1322, et vraisemblablement en grande partie grâce à ses libéralités, qu'est attribué l'achèvement du chœur et du transept, en particulier leur voûtement, et de l'essentiel de leur décor vitré. En témoignent les armoiries sculptées sur la clef de voûte de l’abside et présentes, sous la forme de rocs d'échiquier, dans les verrières des baie 3 et 4. Sous son épiscopat, et peut-être en partie à ses frais fut aussi réalisé le décor peint de la voûte du chœur, encore visible malgré les restaurations du 19e siècle.
Le bras sud du transept est également élevé au temps de Pierre de Rochefort, dont les armoiries figurent dans le grand vitrail de la rose (baie 102), son pendant au nord ayant peut-être été élevé un peu plus tôt et sa rose (baie 101) financée par le chapitre cathédral. En somme, peu après 1320, le chœur, le transept et leur décor monumental sont achevés. L'évêque a également entrepris d'élever sa chapelle funéraire au niveau des deux dernières travées nord de la nef, chapelle achevée et vitrée (baies 17, 19 et 21) au moment de son décès en 1321, car citée à plusieurs reprises dans son testament. Après le très court épiscopat de Guillaume IV de Flavacourt (1322-1323), originaire du Vexin, vite transféré à Auch, Pierre Rodier, évêque de 1323 à 1329, contribue à l'achèvement du chantier et fonde au niveau des deux dernières travées du collatéral sud une chapelle consacrée à Saint-Barthélemy, à Saint-Érasme et à Saint-Gimer destinée à recevoir sa sépulture. La chapelle est richement dotée et ornée aux frais de l'évêque. En témoignent encore ses armoiries, d’argent à la crosse d’or en pal et à la bande d’azur brochante, chargée de trois fleur de lis d’or, visible sur une clef de voûte et au tympan des verrières des deux baies de la chapelle (baies 18 et 20).
L'élan décisif donné au chantier au début du 14e siècle doit beaucoup à plusieurs évêques issus du cercle des conseillers du roi de France au temps de Philippe le Bel et de ses fils. Pierre Rodier, originaire d’Auvergne, mais né dans le Limousin, chanoine d’Eymoutiers, puis de Saint-Martial de Limoges et de Notre-Dame de Paris, est secrétaire de Philippe le Long, puis chancelier de France en 1321, jusqu'au moment où il prend possession de son siège épiscopal. Pierre de Rochefort, puis Pierre Rodier, qui contribuent à achever et à brillamment orner l'édifice, disposent de moyens financiers considérables.
Ces moyens et ces ambitions donnent naissance à une architecture d'exception qui associe une parfaite assimilation du gothique rayonnant septentrional, en particulier des formes développées à la Sainte-Chapelle de Paris, ou à Reims, dont la rose occidentale est la référence de la rose du bras sud du transept de Carcassonne et bien d'autres références : le choix d'une élévation à un seul niveau peut être rapproché de la tradition architecturale des ordres mendiants, mais la présence d'un collatéral très étroit le long de la face orientale des chapelles du transept appartient au gothique rayonnant méridional.
Dans cet espace, il est difficile de reconstituer la disposition originelle du vitrage et le système d'éclairage choisi, en raison des diverses modifications intervenues depuis le 13e siècle. Dans l'abside, les baies 1 et 2 ont reçu au début du 16e siècle deux verrières nouvelles, qui ont peut-être conduit au déplacement des verrières initiales dans les baies 3 et 4 ; dans le transept, les restaurateurs du 19e siècle ont revitré les baies sans disposer à chaque fois d'éléments archéologiques suffisants pour justifier leurs reconstitutions.
Deux hypothèses sont possibles pour imaginer la disposition première des baies du chœur. Dans le premier cas, les trois baies de l’abside (baies 0, 1 et 2) auraient reçu des vitraux de pleine couleur, complétés dans les baies latérales (baies 3, 4, 5 et 6) par des grisailles décoratives claires. Dans la seconde hypothèse, la disposition des verrières claires et des verrières colorées se serait développée suivant un système d'alternance : baies 0, 3 et 4 en pleine couleur, baies 1, 2, 5 et 6 closes de grisailles décoratives, mais cette hypothèse est moins plausible que la première, les parties figurées ayant vocation à occuper les baies les plus en vue dans l'endroit le plus sacré de l'édifice. Cet éclairage assurant un équilibre entre verrières claires et colorées, s'accordait avec un espace architectural polychrome. Viollet-le-Duc rapporte en 1844, soit avant le début de la restauration qu'il dirigera, que « Les statues étaient peintes et dorées » ; aujourd'hui encore, d'importants vestiges de peinture couvrent la voûte du chœur.
Dans les chapelles orientales du transept, ouvertes entre les piles isolées qui rythment cet espace, deux verrières de pleine couleur restées à leur place originale surmontent encore les autels des chapelles les plus proches du chœur (baies 7 et 8). En se fiant aux restitutions du 19e siècle, les autres baies des chapelles du transept (baies 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16) étaient closes de grisailles décoratives. Cependant, les vestiges originaux conservés avant la restauration pour en faire foi n'étaient pas très nombreux : Guilhermy et Viollet-le-Duc signalent des fragments de grisaille en place dans la baie 9, mais les baies 13 et 15 étaient à cette date murées. En revanche, les deux grandes roses des croisillons nord et sud du transept (baies 101 et 102) conservent globalement leur disposition originale, où dominent des mosaïques géométriques aux couleurs vives.
D'une remarquable cohérence iconographique, les verrières du chœur de Saint-Nazaire de Carcassonne n'apparaissent pas d'une facture homogène et n'ont pas été posés au même moment. Quatre groupes chronologiques semblent pouvoir être identifiés (Guéret-Laferté, 1962). Le vitrail de la baie d'axe a déjà été situé à la fin 13e siècle. Cette verrières et les deux baies légendaires des baies 3 et 4, un peu plus tardives, suivent des formules qui n'ont plus cours autour de 1300, mais qui, en revanche, domine dans l'espace languedocien. Le vitrail de l'Arbre de Jessé (baie 7 ) et la grande rose nord pourraient appartenir à ce groupe de verrières posée au début du XIVe siècle. Le vitrage des baies du bras sud du transept, étant d'une autre facture et légèrement postérieure.
Le programme vitré établi lors de l'édification du chœur et du transept subit des modifications notables au début du XVIe siècle. Les remaniements les plus sensibles concernent les baies 1 et 2 de l'abside. Les deux verrières posées à ce moment là se sont soit substituées à des grisailles décoratives du début du XIVe siècle, soit provoquent le déplacement dans les baies voisines des vitraux de la vie de saint Pierre et de saint Paul (baie 3) et de saint Nazaire et saint Celse (baie 4). La réalisation de ces nouvelles verrières est généralement attribuée à deux évêques dont elles contiennent les armoiries Pierre d'Auxillon (1497-1512) et Martin de Saint-André (1521-1546).
En réalité l'étude archéologique des verrières montre que parmi les armoiries et signes héraldiques qu'elles contiennent, seules ceux qui se rapportent à Pierre d'Auxillon sont authentiques. Les deux verrières ont été réalisées par un même atelier, même si le vitrail de la baie 1, d'une exécution plus somptueuse que celui de la baie 2, pourrait lui être légèrement postérieur. Quoi qu'il en soit, ces deux verrières répondent à un programme cohérent, dont les ressorts se rapportent clairement à ce qui est connu de l'épiscopat de Pierre d'Auxillon, élu en 1497 au siège de Carcassonne grâce à l'appui de son proche parent Pierre de Saint-André, juge mage de Carcassonne. Cette élection fut contestée par le roi Charles VIII, dont l'accord n'avait pas été demandé. Finalement, Pierre d'Auxillon obtint gain de cause et put prendre possession de son évêché en 1503. Or Guillaume de Catel dans ses Mémoires pour servir à l'histoire du Languedoc, ouvrage paru en 1663, signale justement dans la cathédrale de Carcassonne que le vitrail de la chapelle Sainte-Anne portait une inscription se rapportant à Pierre d'Auxillon, contenant la date 1502 (ancien style). On constate justement que la verrière de la baie 2 est consacrée à sainte Anne, que l'on pourrait ainsi dater du tout début de l'épiscopat effectif de Pierre d'Auxillon. Ce choix iconographique n'est pas anodin dans la mesure où la cathédrale possède la relique de la main droite de la mère de la Vierge, objet d'une intense vénération, une confrérie Sainte-Anne ayant d'ailleurs été créée dans l’édifice par l’évêque Simon de Cramaud en 1397. L'iconographie retenue pour la baie 1 peut être comprise comme la glorification de la figure épiscopale par les saints patrons de la cathédrale, saint-Nazaire et saint Celse et par deux évêques de Carcassonne canonisés, saint Hilaire et saint Gimer. L’évêque Pierre de Rochefort avait recueilli les reliques de saint Gimer et d’autres saints en 1321 et les avait déposé dans une chasse d’argent, or justement la vérification des authentiques de ces reliques a été voulue en 1504 par Pierre d'Auxillon, ce qui renforce l'hypothèse de lui attribuer la donation de cette verrière et finalement des deux verrières nouvelles de l'abside.
Entretien et réparation anciennes (du XVIe siècle jusqu'en 1843)
Les vitraux de la cathédrale Saint-Nazaire échappent à l'iconoclasme huguenot car malgré diverses tentatives, la ville haute ne tombe jamais entre leurs mains. La documentation d'Ancien régime, bien que lacunaire, contient diverses mentions à leur sujet, relatives à des réparations. Des graffitis, relevés sur les vitraux eux-mêmes lors de la restauration des années 2000 complètent ces informations, traces d'un entretien sinon régulier, du moins périodique. En 1666, par exemple, Guillaume Valla, marchand de Carcassonne et « maistre victrier » est chargé de « rabiller les vitres à tous les endroits qu’il sera besoin et nécessaire », fournissant le verre de couleur là où ce sera nécessaire et du verre blanc dans les sacristies (Arch Dép. 11, G71, f°325) ; en 1699, Bertrand Cau, vitrier de Carcassonne est chargé de l'entretien régulier du vitrage etc. Cependant, au XVIIIe siècle, plusieurs documents témoignent d'un remaniement liturgique du choeur (1703-1704 G 277, f° 307, 324 v°, 360). La mise en place progressive de nouveaux autels et de leurs retables le bouchage de la partie basse de plusieurs baies (Teisseire, 1875). Les panneaux ainsi retirées ont pu servir de bouche-trou, comme en témoignait la verrière d'axe dans son état antérieur aux restaurations du XIXe siècle.
Désaffectée entre 1792 et 1800, Saint-Nazaire est utilisée à divers usages, comme magasin à fourrage dans la nef, ou comme atelier de maréchalerie dans le bras nord du transept. Par conséquent les vitraux souffrent. Des dommages sont signalés à plusieurs reprises et des travaux de réparation aussi, spécialement en 1807 et 1808, confiés à des vitriers locaux. Sont mentionnés, Bauville, Pierre-Paul Biau de Carcassonne, Baptiste Chaumont vitrier à Trivalle. En 1822, le conseil de fabrique signale dans une lettre au préfet, qu’étant dans l’impossibilité de pourvoir aux réparations du vitrage, plusieurs baies ont du être murées. Des travaux sont cependant réalisés, en 1823 par le vitrier Combes, payé pour avoir « arrangé les vitraux de l’église ». En 1846 encore, soit après le classement de l'édifice parmi les Monuments historiques, l'intervention du vitrier Clerc est signalée dans les comptes de la fabrique.
Malgré leur difficile entretien, une prise de conscience de leur intérêt historique se manifeste très précocement. En 1822 (Arch. dép. Aude, 4T145) il est mentionné que les vitraux font l’admiration des voyageurs ; le 3 avril 1842, le conseil de fabrique signale qu’il « existe dans l’église des vitraux remarquables par leur antiquité, leurs dimensions, l’éclat de leurs couleurs, la variété et la délicatesse des sujets ». Le mauvais état de la mise en plomb, l'absence de grillage, le nombres des casses et des lacunes exigent cependant une intervention urgente (Arch. dép. 11, 18J 2). Le devis estimatif des travaux à réaliser, dressé par l'architecte du département Jean-Sargine Champagne (1795-1855) le 28 novembre 1840 (Arch. dép. Aude, 4T145) propose avant tout la reprise des roses des croisillons du transept en passe de s’écrouler, ayant perdu leur aplomb et mal soutenues par leurs armatures métalliques. Il envisage aussi la reconstruction des meneaux des baies des chapelles qui ne portent plus les vitraux et donc la dépose et la réparation de leurs vitraux. Les premiers travaux se portent cependant sur la chapelle Guillaume Radulphe, dégagée, restaurée et revitrée. Les commentaires émis par Viollet-le-Duc à ce sujet en 1842 dans son rapport à la Commission des Monuments historiques sur l'emploi des sommes allouées sont très critiques. En ce qui concerne les vitraux, il préconise une remise en plomb partielle et prudente au regard du peu de compétence des vitriers locaux. A cette date justement, un mémoire des travaux de François Combes de Carcassonne, mentionne de modestes travaux de remise en plomb comprenant la fourniture du verre pour les parties manquantes de quelques panneaux. Les efforts portent principalement sur la grande rose nord du transept ; il s'agit pour les autres baies de simples mesures de calfeutrage et de consolidation dans l'attente d'une véritable restauration.
Sur proposition de Prosper Mérimée en avril 1844, la responsabilité du chantier est confiée à Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, avec la perspective d'obtenir les crédits nécessaires à une véritable restauration. Le rapport et le devis rédigés par ses soins, datés du 31 décembre (MAP, dossier 81/11/17), précisent les orientations données au futur chantier. Parmi les priorités figurent les « (…) grands meneaux des roses découpées du transept et du chœur (...) qui pourraient être détruits d’un moment à l’autre dans l’état actuel du chœur . (…) Ces vitraux cependant peuvent être rangés parmi les plus beaux du XIVe siècle ; quelques uns présentent en outre la particularité remarquable qu’ils ne sont composés que d’ornements de couleur éclatantes. Dans le chœur, deux des fenêtres sont décorées de vitraux de la Renaissance du plus beau style et que j’ai vu bien mieux conservés qu’ils ne sont aujourd’hui ». La restauration des remplages des baies et des vitraux étant jugée indissociables, ces travaux sont classés parmi les plus urgents à réaliser. En réalité rien ne peut être fait sur les vitraux avant 1851. L'effort porte en premier lieu sur la reprise des contreforts. Provisoirement les nombreux trous qui jalonnent les panneaux sont calfeutrés à l'aide de papier, les dégradations ne cessant ainsi de s'aggraver.
La restauration du XIXe siècle
Principes
Néanmoins, ces années permettent d'élaborer et de mettre en place l'engagement fort de l’État sur un chantier de première importance. Mérimée comme Viollet-le-Duc sont intimement persuadés du caractère exceptionnel de l'édifice et de son décor : « C’est le plus bel édifice de cette partie de la France et celui qui certainement attire le plus l’attention des voyageur » (MAP, dossier 81/11/17) (...) « Aussi est-ce une fortune rare de trouver une église du XIVe siècle qui soit entièrement garnie de ses vitraux. Nous n'en connaissons qu'une en France qui présente un spécimen complet, ou à bien peu près, d'une suite de verrières faites d'un jet de 1320 à 1330: c'est l'église de Saint-Nazaire, ancienne cathédrale de Carcassonne. Le chœur et le transept de cette église présentent une énorme surface de baies toutes garnies de leurs vitraux du commencement du XIVe siècle. Ces vitraux à sujets légendaires sont d'une harmonie brillante sans être crue, ce qui se rencontre rarement à cette époque, et appartiennent à une école dont nous ne connaissons pas le centre, mais que nous serions disposés à placer à Toulouse, et dont on retrouve les produits jusqu'à Béziers. » (Dictionnaire raisonné de l'architecture française, t. IX) ; « Aucune église du Midi de la France n’offre d’aussi belles verrières » affirme en 1850 Jean-Pierre Cros-Mayrevieille. Mais pour convaincre la Commission des Monuments historiques de ne pas cette fois se retrancher derrière la règle qu'elle suit presque toujours, de n'accorder des subsides « qu'à des travaux de reconstruction ou de consolidation des édifices et de ne pas s'occuper de pourvoir à des dépenses d'ornement intérieur », les arguments développés par Viollet-le-Duc et Cros Mayervieille visent à démontrer qu'à Saint-Nazaire de Carcassonne « les vitraux sont eux-même un monument dans un autre monument (...) » ; « Dans cet édifice l'ornementation est intimement liée à la construction, ainsi on ne peut consolider sans restaurer. (…) ». Les principes sont ici clairement affirmés au sujet de l'ensemble du décor sculpté, ou vitré, le tout devant être considéré comme partie constituante de l'architecture gothique, sera restauré avec elle. Cette position est tenue à Carcassonne en raison de l'attachement particulier de Mérimée et de Viollet-le-Duc pour l'édifice, attribuant à ce chantier une valeur d’exceptionnelle.
Carcassonne, édifice et chantier majeur, reçoit ainsi à plusieurs reprises la visite des plus éminents archéologues tu temps. Les notes de Ferdinand de Guilhermy témoignent de l'état de l'édifice avant et en cours de travaux. Préparant son Histoire de la peinture sur verre d'après les monuments, Ferdinand de Lasteyrie se rend à Carcassonne dès 1840. L'administration des Cultes demande alors au préfet de l'Aude de faciliter son séjour, l'ouvrage en préparation étant voué à fournir des « documents utiles » aux travaux de la Commission des Monuments historiques. Finalement, une planche seulement montrant un vitrail de la chapelle sud de la nef de Carcassonne est insérée dans le recueil publié en 1853.
Les avis au sujet de la pertinence des travaux menés par Viollet-le-Duc sont partagés. Parlant de l'ensemble du chantier, Ferdinand de Guilhermy précise que « Le seul reproche qu’on puisse adresser à cette restauration c’est d’avoir été accomplie au delà du strict nécessaire. Il aurait fallu à mon avis se contenter de réparer le monument dans les parties qu’on trouvait sérieusement dégradées et non les remettre à neuf ». Paradoxalement, le même trouve gênants les vitraux du 16e siècle des baies 1 et 2 : « Cette fenêtre (baie 1), toute belle qu’elle soit et œuvre de la Renaissance n’en est pas moins nuisible à l’effet général, au milieu des vitraux d’un autre style ». Aurait-il fallu la sacrifier au nom de l'unité de style ?
Les documents et en particulier les documents graphiques provenant des ateliers des restaurateurs sont conservés en très petits nombres (MAP, fonds Coffetier). Il ne semble pas que la levée des «calques», comme ce fut le cas lors de la restauration de la Sainte-Chapelle de Paris par Louis Steinheil, ou pour la Sainte-Chapelle de Riom (1855), par Étienne Thevenot, fut ordonnée ; les textes n'en font pas mention, mais s'ils ne sont pas réalisés en vue de témoigner d'un état antérieur à la restauration, des relevés et projets à grandeur d'exécution ont nécessairement été réalisés dans les ateliers des restaurateurs. L'objectif général des travaux n'en est pas moins clair. Il s'agit de restituer autant que possible la disposition des verrières dans l'édifice avec cette subtile alternance entre vitraux colorés et grisailles décoratives. Les verrières figurées et les grisailles décoratives anciennes sont complétées et restaurées en s'accordant de la façon la plus exacte possible aux éléments authentiques. Les verrières manquantes, des grisailles décoratives, sont reconstituées, d'après des fragments retrouvés en place, ou d'après les relevés de verrières contemporaines (baies 5, 6, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 19).
Financement
Le soutien sans faille de Prosper Mérimée au projet de restauration établi par Viollet-le-Duc s'avère déterminant pour engager l’État dans cette entreprise de grande ampleur. Le financement des travaux, certes échelonné mais rapide et constant est mis en place sous le Second-Empire. En 1850-1851, Mérimée indique à la Commission des Monuments historiques le danger qu'il y aurait à différer les travaux évalués dans un premier temps à 184 710fr, dont 70 814fr. pour les vitraux. Il propose donc de réserver au moins 80 000fr sur les deux ou trois années prochaines et de demander le reste au ministère des Cultes et à la ville, qui apportent en effet leur contribution. Les subsides alloués à la restauration sont en effet accordés avec régularité et une importance croissante à partir de devis sans cesse réévalués à la hausse jusqu'à l'achèvement des travaux en 1863.
Équipe
Une équipe de fidèles parmi les archéologues ; pas de contrôle, pas de calques ; sous l'autorité directe et très directive de Viollet-Le-Duc.
Le chantier est mené par Viollet-le-Duc avec enthousiasme pour un édifice qu'il admire beaucoup et pour « ses très beaux vitraux et fort rares » (rapport de 1842). Ne se rendant à Carcassonne qu'une fois l'an environ, il organise avec rigueur des relais sur place, l'architecte X. Cals est nommé inspecteur des travaux dès 1843, remplacé à son décès en 1848 par son fils Guéraud Cals. Sur place encore, le soutien de Jean-Pierre Cros-Mayrevieille, inspecteur des Monuments historiques depuis 1840, est essentiel. Si pour la maçonnerie et pour la sculpture, les travaux sont confiés à des entreprises locales, celle de Jean Magné en particulier, pour le vitrail, en revanche, les travaux de restauration sont exclusivement confiés à des personnalités du cercle des archéologues parisiens, déjà éprouvés sur plusieurs chantiers majeurs : le cartonnier Louis-Auguste Steinheil, les peintres verriers Alfred Gérente, particulièrement sollicité par l'architecte pendant près d'une vingtaine d'année à partir de 1847, mais aussi Nicolas Coffetier et Eugène-Stanislas Oudinot. Le 28 juillet 1851, sont ainsi déposées les soumissions de Steinheil et de Gérente (AD 11, 3Q7-309). Coffetier dès 1855 et Oudinot, mentionné en 1859, interviennent ensuite. La part exacte de ce qui revient à chacun d'eux n'est pas facile à cerner avec toute la précision souhaitée. Les rapports entre Viollet-le-Duc et les restaurateurs s'avèrent parfois difficiles. L'architecte se montre fort directif, bousculant les uns et les autres, imposant parfois à Steinheil des dessins de sa main, à transcrire à l'échelle monumentale (AD 11, 4T145, dessin pour une rose).
Chronologie
Bien qu'il ne soit pas toujours possible de suivre par le menu les progrès de la restauration des vitraux, il semble qu'elle suive une organisation assez rigoureuse, liée au déroulement de la reprise de l'édifice. 1851 marque le commencement des travaux entrepris sur les vitraux, qui concernent en premier lieu le choeur de l'édifice. Les baies 0 et 4 passent par les atelier Gérente entre 1851-1853. Le bilan des travaux dressé en 1854 signale qu'il reste à restaurer la moité, moins une, des verrières du sanctuaire, les huit baies et les deux roses du transept. En 1855, les vitraux des baies 1 et 2 sont restaurés d'après les dessins de Steinheil et ceux des baies 3 et 5 par Gérente. Lors de son passage à Carcassonne le 21 octobre, Ferdinand de Guilhermy signale cependant que ces trois verrières « (…) restent à poser, les meneaux de ces fenêtres sont presque entièrement taillés et les vitraux restaurés ». Les efforts portent sur le bras sud du transept à partir de 1855-1856. A cette date, Gérente entreprend la restauration de la rose nord (baie 101) et restitue la grisaille de la baie 9 ; Coffetier associé à Steinheil assurent au même moment la restauration de l'Arbre de Jessé (baie 7). De la sorte, Guilhermy, à nouveau présent à Carcassonne en octobre 1857, peut-il témoigner de l’achèvement de la restauration des verrières du bras nord du transept et de sa rose. En 1858, cependant, sont encore réalisées les grisailles décoratives des baies 13 et 15 auparavant murées. Les travaux du bras sud du transept commencent en 1857. Il s'agit d'abord de restituer les grisailles décoratives de la face orientale (baies 10 et 12). La restauration et les compléments restitués de l'Arbre de vie, sont conçus et exécutés en 1858-1860 par Alfred Gérente. Le même se voit confier la restauration de la rose sud (baie 102) en 1862 . La restauration des deux verrières de la chapelle de Pierre Rodier (baies 18 et 20), par Steinheil, n'est pas située avec précision, mais il est possible d'affirmer qu'en 1863-1864 au plus tard la reprise de l'ensemble du vitrage est achevée ; il est désormais complet et sa disposition fixée jusqu'à nos jours.
Après la restauration de Viollet-le-Duc
Il semble pourtant que les travaux menés sous la direction de Viollet-le-Duc n'aient pas été techniquement irréprochables. La mise en plomb, en particulier, semble souvent défectueuse, car dès 1884 le curé souligne le mauvais état des vitraux du chœur, « qui laissent passer l’air et la pluie ». Aucune intervention cependant n'a lieu avant le début des années 30 du XXe siècle. A la suite de jets de pierres ayant occasionné quelques trous dans les baies 1 et 3, l'architecte Henri Nodet demande au peintre verrier Richard Burgsthal son avis sur les interventions à mener. Ce dernier propose de reprendre le « désordre » des verrières » ; en réalité, entre mars et décembre 1933, il procède au remplacement d'un certain nombre de pièces à l'aide de verre de sa fabrication et de verre antique.
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, les vitraux anciens sont déposés dans le cadre de la Défense passive. Le travail est réalisé par Adrien Bonnery entrepreneur de « Travaux publics et particuliers » demeurant à Carcassonne, qui dote les baies de châssis à « vitrex » et procède à leur bouchage partiel en brique. La dépose est achevée en novembre 1939. Les caisses sont alors transportées à Dourgne dans le Tarn, au monastère Sainte-Scholastique, où est installé le verrier Richard Burgsthal, mais il ne semble pas que ce dernier intervienne sur les panneaux de Carcassonne pendant la guerre. En 1948-1949 l'atelier Alex Ouillac de Toulouse est chargé de la remise en état et de la repose des panneaux, auparavant photographiés en atelier.
En 1968, des bangs supersoniques ont causé des dégâts aux vitraux, ce qui nécessiterait des travaux de remise en plomb. Une intervention de l'atelier Vernejoux de Limoges sur la baie 2 en 1974 est l'occasion d'observer le mauvais état de l'ensemble des vitraux. Les réparations faites juste après la guerre lors de la repose des vitraux on été rapidement menées, en utilisant de très mauvais mastics, qui se désagrègent ou durcissent, imprégnés par la rouille issue de la serrurerie ; les verres eux-mêmes, soumis à une érosion d’eau salée et rouillée, se trouvent souvent tachés de façon irréversible. Une étude menée au LRMH (rapport du 6 janvier 1995) à partir de 3 panneaux des baies 0, 1 et 7, déposés par Bruno De Pirey, permet d'observer d'importants dépôts sur la face interne ; sur la face externe, en revanche, la corrosion des verres est très inégale, partout cependant la rouille est très présente due au ruissellement des eaux à partir des ferrures. Formulée en 1996, la demande de prêt d'une partie du vitrail de l'Arbre de vie (baie 8), pour être exposé en 1998 au Grand-Palais dans le cadre de l'exposition L'art au temps des rois maudits. Philippe le Bel et ses fils (1285-1328), conduit à la restauration d'une partie des panneaux de la moitié supérieure de la verrière, confiée à l'atelier Pinto de Tusson. En fait, la première tranche d'un important programme se met en place en 1999 seulement (tranche 1999 exécutée en 1999-2000) ; elle concerne un vitrail ancien, l'Arbre de vie (baie 8), dont il faut achever la restauration, et plusieurs verrières du XIXe siècle (baies 6 dans le chœur et grisailles décoratives du transept, baies 10 et 12). La restauration s'accompagne d'un débat sur le choix du type de double verrière qui protégera les vitraux de la pluie et des vents marins : verre thermoformé ou panneaux de verre blanc avec mise en plomb simplifiée ? Suivent avec régularité deux nouvelles tranches. La seconde, dite tranche 2000 (exécutée en 2000-2001), s'applique aux baies 0, 2, 3, 4 et 101, puis la troisième, aux baies 1, 5 et 7 (2002 ?). L'ensemble de ces travaux de restauration revient à l'atelier Pierre-Alain Parot d'Aizeray (Côte-d'Or). Il a été accompagné par des études documentaires très approfondies commandées par la Direction régionale des Affaires culturelles de Languedoc-Roussillon, réalisées par Nathalie Frachon-Gielarek, comprenant une bibliographie complète, d'importantes recherches dans les fonds d'archives et l'étude critique des panneaux réalisée en atelier, dont bénéficie pleinement la présente notice. La restauration se poursuit encore dans les années suivantes, prévue en 2003 comme devant se dérouler en 4 tranches, une tranche ferme et 3 tranches conditionnelles, à mener en trois ans et demi. Les baies 9, 11, 13 de la tranche ferme sont traitées en 2005-2006, la baie 9 par l'atelier Batailhou de Toulouse, la baie 11 par l'atelier Rivière de Foix et la baie 13 par l'atelier Brenas de Carcassonne. La restauration des baies 17, 19, 21, 15, 14, 16, 20, 18, et 102 pour les tranches conditionnelles, a lieu en 2006-2008 dans les ateliers Rivière, Bataillou, Brenas formés en groupement. Les bénéfices de ces restaurations se traduisent par l'enlèvement de nombreux plombs de casse, par de nombreux collages et par la mise en place de double-verrières de protection en mise en plomb simplifié.
Né à Mulhouse. Conservateur en chef du patrimoine - Centre André Chastel (Laboratoire de recherche en Histoire de l'art - UMR 8150 du CNRS) Institut national d'histoire de l'art, 2, rue Vivienne.
Directeur du Comité français du Corpus vitrearum.
Vice-directeur de la Revue de l'art.
Docteur habilité à diriger des recherches (Université François Rabelais, Tours).