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Le Grenat de Perpignan, un savoir-faire catalan
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Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Pyrénées-Orientales

Depuis plusieurs années l'institut du Grenat travaille à l'étude et la préservation du savoir faire des orfèvres catalans qui fabriquent encore de manière artisanale des bijoux en or et en grenat. Depuis 2018, une dizaine d'entreprises, labelisées "Indication Géographique", sont habilitées à indiquer que leur production respecte les critères de qualité permettant d'utiliser l'appellation "Grenat de Perpignan".

Une tradition ancienne

On sait que le travail de l’or et de l’argent, est une pratique ancienne à Perpignan. Elle est documentée à partir du 13e siècle puisqu'une ordonnance de Jacques II de Majorque, datée du 8 février 1296, rend obligatoire le poinçonnage des pièces d’orfèvrerie afin d’attester leur bonne composition. Perpignan devient ainsi la première ville de l'espace catalano-aragonais à posséder sa marque (Fonquernie, Grenats de Perpignan, 2006, p. 20). A cette époque les argenters vivent et travaillent dans la rue de l'Argenterie, l’une des rues les plus commerçantes de Perpignan qui sera transformée et rallongée au tournant du 18e siècle. Une confrérie dédiée à saint Eloi qui réunit l'ensemble des artisans est fondée au Moyen Age. Au 17e siècle, elle tient ses assemblées dans le couvent des Dominicains : chapelle sant Jordi, dans le cloître, ou chapelle Saint-Eloi dans l'église des Dominicains

Dès le 13e siècle, l’utilisation du grenat est mentionnée dans les archives. On le trouve dans les coffrets à bijoux civils ou comme ornement d’objets liturgiques. Cette pierre est alors appelée « escarboucle », du latin carbunculus, petite braise, en référence à son éclat rougeoyant. Parmi les rares bijoux de la période médiévale conservés, l'encolpion de la cathédrale d'Elne (IM66004615), sur lequel pourraient être sertis des grenats.

Une corporation très structurée

C'est dans à la fin du 17e siècle que démarre véritablement le développement de la bijouterie en Catalogne. Après le 23 mars 1686, le pouvoir royal facilite l’installation à Perpignan d’artisans originaires d’autres provinces : les plus qualifiés d’entre eux peuvent devenir maîtres-artisans et être exonérés de la quasi-totalité des droits de réception dans la corporation. Dès lors, des orfèvres languedociens pour la plupart, s’installent à Perpignan, comme Jean Charpentier, originaire d’Agen, Michel Gouzy de Toulouse, Jean Preseguet de Castres, et les frères Valette de Béziers. A la même époque un nouveau poinçon garantissant la production originaire de Perpignan est insculpé. En 1696, un édit royal attribue un blason aux orfèvres de Perpignan et cette reconnaissance permet aux joaillers catalans de proposer leurs créations à des clients fortunés, nobles ou influents. Les consuls de Perpignan seront également d'importants commanditaires de pièces d'orfèvrerie.

Ainsi à cette époque, la profession s'organise et réglemente de façon stricte son accès : Six années d'apprentissage sont nécessaires avant de pouvoir prétendre à devenir compagnon. Trois années supplémentaires de compagnonnage autorisent le jeune artisan à prétendre à l’examen de la maîtrise. Il doit alors produire un certificat de « bonne vie et moeurs » démontrant son appartenance à la religion catholique, déposer une caution de dix marcs d’argent, prouver sa formation continue auprès d’un seul maître et présenter à un jury de plusieurs maîtres-orfèvres et compagnons une pièce d’orfèvrerie qui lui permettra d'être admis. Une fois reçu, il doit encore s’acquitter de la somme de 150 livres pour la caisse du collège des orfèvres, offrir à chacun de ses nouveaux collègues onze livres tournois ainsi qu’une livre de confiture et une paire de gants neufs. Ainsi, pour des raisons financières, bon nombre d’apprentis ne peuvent passer l’examen de la maîtrise et restent ouvriers toute leur vie.

Ces règles très restrictives sont abolies par la Révolution française et la profession devient un groupe social affilié à la bourgeoisie du négoce et de l'artisanat de luxe (Fonquernie, 2006, p. 35). À la fin du XIXe siècle, la corporation des bijoutiers se structure et crée des organes syndicaux, tant pour le secteur patronal que pour le monde ouvrier. Profitant de la loi du 21 mars 1884, légalisant les syndicats, les professionnels de la bijouterie créent, le 1er septembre 1894, un syndicat patronal dont le but est de « conserver à notre industrie le rang honorable qu’elle doit tenir et l’empêcher de tomber aux mains de marchands qui sous prétexte de bon marché, ne peuvent que la déprécier ».

Le syndicat de l’association professionnelle des bijoutiers et orfèvres de Perpignan et du département des Pyrénées-Orientales met en place une caisse pour mutualiser la publicité et défendre les intérêts communs. Il oeuvre aussi à soutenir les candidats à l’examen d’ouvrier d’art, à recommander ceux qui quittent le département pour s’installer ailleurs ou à encourager la diminution de la durée du service militaire pour ses adhérents. En 1900, des ouvriers bijoutiers et horlogers de Perpignan fondent une Société de Secours Mutuel : « l’Alliance ». Elle fournit aussi les soins et les médicaments nécessaires à ses membres, paye les indemnités maladies si besoin et enfin pourvoit aux frais de funérailles. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le 11 novembre 1918, naît une Chambre syndicale des ouvriers et ouvrières bijoutiers, joailliers et horlogers du département des Pyrénées-Orientales, fondée par des ouvriers, dont certains sont mutilés de guerre. Son objectif est de « garantir un juste prix » pour le travail fourni, de réglementer la salubrité des ateliers ainsi que de s’assurer de l’expertise du travail. Toutefois, cette chambre n’a pas existé longtemps. Beaucoup de ses membres, ouvriers devenus leur propre patron et installés à leur compte l’ont quitté.

À partir du Second Empire (1851-1870), les bijoutiers se spécialisent dans le montage des grenats et se qualifient eux-mêmes de « grenatiers », abandonnant totalement l’orfèvrerie. La demande est importante et le secteur en pleine croissance. En 1878, « Perpignan, en raison de son importance comme centre et chef-lieu du département, est sans contredit au-dessus des autres villes de son ordre relativement à la bijouterie. Il occupe déjà une soixantaine d’ouvriers presque tous employés à la fabrication des grenats ou bijoux du pays. Ce genre de travail aujourd’hui est très recherché des étrangers et des gens du pays, aussi se propage-t-il considérablement et peut désormais être classé comme une des principales branches de l’industrie perpignanaise. » (courrier de J. Thoubert au maire de Perpignan A.D.66).

Une technicité ancienne

Les archives de la Casa Pairal, le musée des Arts et traditions populaires catalans conservent l’inventaire de l’atelier de Jospeh Mourat, orfèvre bijoutier installé au 20, rue de l’Argenterie de Perpignan. Dressé le 1er mai 1858, ce document précieux décrit un espace qui ressemble beaucoup aux ateliers d’aujourd’hui. « Un établi à 7 places, plus une place séparée, un laminoir, un soufflet de forge, une pendule, une paire de balances, huit ciseaux, trois pinces rondes, 12 pinces plates, 5 précelles, une pince à couper, 4 pinces à coulant, un étui à main, une boite à bille, un compas à vis et un autre à X, deux porte scies, quatre enclumes et sept marteaux, une vrille et deux fers à ciment, un tréboulet en fer, une lampe à esprit de vin et trois pierres à huile, 2 bouilloirs en cuivre et deux tas, trente échoppes ou onglettes, 5 pierres à borax, une lampe à souder à huile et une à souder à gaz, un soufflet à main et trois pinces de forge, 3 quinquets et une …, 2 plombs et deux étains, 20 limes et deux contre estampes, une fontaine en terre, 2 pinces à tirer, quatre porte-forets, cinq chalumeaux, une boite à pierres, deux portes coupes et une ardoise, un banc à tirer, un poids de mille grammes, un sceau, dix filières, deux lingotières, un mortier et un pilon de cuivre, 7 tabourets ».

L’établi est une table épaisse en bois dur, fixée le plus souvent dans le mur, autour de laquelle chaque ouvrier dispose d’un poste de travail, dans l’une des embrasures. Au centre du poste, la cheville, support proéminent en bois, sert d’appui pour limer ou sertir le métal. Sous chacun des emplacements, un tablier de peau permet de récupérer les limailles et poussières d’or qui s’accumulent lors des différentes opérations de fabrication. Elles sont refondues pour être réintroduites dans la fabrication des bijoux. Les ateliers actuels sont similaires à ceux des 18e et 19e siècles. La principale différence vient de la disparition de l’imposante forge qui occupait, sous l’Ancien Régime, une partie de la pièce. Il n’y a plus aujourd’hui les grands moules utilisés pour la fabrication des pièces d’orfèvrerie, les chandeliers, salières et couverts. Les artisans ne fabriquent plus les ménagères et la vaisselle en argent. Ils se sont spécialisés dans la fabrication des bijoux. De même, les outils nécessaires à la bijouterie ont peu évolué et sont en grande partie similaires à ceux des siècles précédents. Les progrès techniques ont peu dénaturé la pratique manuelle.

La taille des grenats est réputée assez difficile à exécuter étant donné la régularité que doivent avoir ses nombreuses facettes pour produire un bel effet. Il n’a pas été retrouvé de mention de taillerie Dans les années 1900, les bijoutiers s’approvisionnaient principalement à Saint-Claude où la taille du grenat est déjà attestée un siècle auparavant. Réputée depuis 1550 pour la taille des pierres de couleur en raison de l’installation d’horlogers catholiques persécutés et accompagnés d’ouvriers spécialisés, cette ville du Jura fut récompensée en 1855 par une médaille à l’Exposition universelle de Paris et devint la capitale de la taille des pierres précieuses qui servaient pour l’industrie horlogère. Autour de 1900, près de 8 000 ouvriers y travaillaient en outre les pierres dites précieuses, les rubis, les saphirs et les émeraudes. C’est donc principalement à Saint-Claude que les bijoutiers de Perpignan ont passé commande de « Grenats fins à rose et double rose » jusque dans les années 1910. Ils s’approvisionnèrent aussi en région parisienne auprès de sociétés spécialisées mais se fournirent également pour certains, la maison Charpentier par exemple, auprès de la firme suisse Golay-Buchel, fondée en 1887 et inscrite au registre du commerce le 23 octobre 1912, qui s’était spécialisée dans la fabrication et le commerce de pierres et de perles pour la bijouterie. La guerre de 1914-1918 et et celle de 1939-1945 mirent à mal l’approvisionnement des ateliers perpignanais en pierres taillées obligeant les joaillers, soit à augmenter leur prix, soit à épuiser leurs stocks. Aujourd’hui, les bijoutiers se fournissent en Allemagne, plus précisément dans la ville d’Idar-Oberstein, près de Francfort. C’est là qu’est réalisée sur commande la « taille Perpignan », spécifique à la ville dont elle a pris le nom. Proche de la taille en rose des diamants, elle se caractérise par la présence de nombreuses facettes sur le dessus de la pierre, alors que le dessous est plat.

Une fois la pierre taillée sélectionnée, le bijoutier doit modeler le support en or sur lequel elle sera positionnée. Cet élément, dénommé le chaton, est l’une des principales étapes de la fabrication du bijou. Elle nécessite plusieurs opérations très précises d’estampage* et de soudure avant que la pierre ne puisse être sertie. L’or est, par tradition, la matière exclusivement employée pour la fabrication des bijoux en grenat de Perpignan. Les orfèvres ont ponctuellement employé. l’argent, moins onéreux, pour fabriquer des bijoux en grenats durant les périodes de crise ou de pénurie d’or, notamment lors des deux guerres mondiales.

La première étape pour réaliser un chaton est la fabrication de la sertissure à filet, fabriquée avec un laminoir. Le bijoutier en contourne la pierre, en l’ajustant au plus près, puis coupe et soude les deux bords. L’estampage sur la bouterolle, le bijoutier imprime la forme souhaitée à la plaque de métal avant de la découper à l’aide d’une cisaille. Il peut ensuite ajuster la sertissure à la pierre choisie. Vient ensuite l’étape ultime de fabrication : la sertissure et le fond sont soudés ensemble pour former le chaton.

La spécificité de la bijouterie catalane réside dans l’utilisation du chaton à fond bombé qui enchâsse complètement le grenat. Comme l’arrière du bijou est clos, la lumière ne peut traverser la pierre. Ainsi, pour réfléchir la lumière, les bijoutiers placent-ils une feuille métallique de même couleur que celle de la pierre dans le fond du chaton. Dénommée « paillon », elle agit comme un miroir. L’usage du paillon a été délaissé à la fin du 19e siècle par le monde de la bijouterie, qui s’est alors tourné vers des sertis simples, mieux adaptés aux pierres de taille moderne et qui donnaient plus d’éclat aux bijoux. La technique des « grenatiers » catalans, qui prolonge une tradition et d’anciens savoir-faire, représente donc aujourd’hui une spécificité unique en France.

Une fois le paillon délicatement déposé à l’intérieur du chaton, l’artisan fixe hermétiquement la pierre au chaton selon deux techniques. La première est le serti lisse lorsque l’ensemble des éléments a la même hauteur et la même épaisseur et que la sertissure est rabattue autour de la pierre ; la seconde est le serti à griffes lorsque le bijoutier préfère, à une fixation continue, des griffes triangulaires découpées à la lime dans la sertissure, puis rabattues sur la pierre. Au terme de l’assemblage, le bijou est poli, ce qui permet à l’artisan de lui redonner son éclat.

Des dessins préparatoires

Fabriquer un bijou est une oeuvre collective dont le dessin préparatoire représente la première étape. L’esquisse au crayon ou à la gouache, qu’elle soit issue de la main de l’artisan lui-même ou qu’elle soit celle d’un artiste, permet de définir la forme du bijou, le nombre de pierres à utiliser. Elle peut aussi mentionner des informations techniques nécessaires à la réalisation du bijou.

Les premiers dessins conservés localement datent du règne de Napoléon III (1852-1870) et proviennent de l’atelier perpignanais Charpentier. Les gouachés de la maison Velzy, réalisés autour de 1900, d’une facture très léchée, détaillent un grand assortiment de modèles correspondant au goût de la clientèle aisée de la Belle Époque (1900-1914). Encore conservées par certains bijoutiers, ces planches réalisées sur un bristol épais pour les plus soignées ou sur du papier calque ne sont pas signées. Elles devaient servir tout autant aux ouvriers pour reproduire les modèles qu’à la clientèle pour choisir le bijou selon ses goûts. Ainsi que ces esquisses soient reliées dans un carnet comme chez l’horloger-bijoutier Thubert-Ducommun ou présentées chez l’orfèvre Velzy sous la forme de planches indépendantes spécialisées les unes dans les bagues, les autres dans les broches, elles réunissent des dessins de belle facture. D’autres esquisses déclinent une production plus simple et abordable pour la classe moyenne catalane. Tous ces documents démontrent que la bijouterie perpignanaise était capable de satisfaire les goûts d’un public très large.

La grande époque des grenats et typologie des bijoux

Aux parures sophistiquées de l’aristocratie, la clientèle rurale préfère des bijoux en or creux, moins onéreux IM66005032. Ces pièces sont constituées de deux formes identiques estampées, puis découpées et soudées entre elles pour composer des bijoux à la fois volumineux et très légers, comme les boucles d’oreilles dites « fileuses » ou « carbassettes », en forme de fuseau ou de calebasse IM66004910.

Dans la première moitié du 19e siècle, les personnalités de passage marquent leur intérêt pour les bijoux catalans, comme le relate la presse locale. Ainsi, en 1829, la duchesse de Berry (1798-1870) – belle fille du roi Charles X – est-elle accueillie de manière festive à Perpignan. Afin de se garantir l’estime des populations visitées, elle se met en scène en s’appropriant ici un élément du costume roussillonnais. « Son Altesse Royale a eu l’extrême bonté de se montrer au spectacle avec des pendants d’oreille dits carbassetes, qui sont une partie obligée du vrai costume catalan ».

Les formes des bijoux ont été profondément renouvelées dans la seconde moitié du 19e siècle, grâce, notamment, aux Expositions universelles fréquentées par les professionnels catalans. Les orfèvres y envoient leur personnel pour enrichir leurs techniques, comme le bijoutier Barrera, qui plaide auprès du préfet pour que son ouvrier Alphonse Bès puisse se rendre à l’Exposition universelle de 1878 : « Par son intelligence, son amour du travail, il est devenu un habile ouvrier : la vue, l’étude des beautés qu’étale l’Exposition, développeraient en lui les aptitudes artistiques dont il est doué ».

Confrontées à d’autres créations les idées des bijoutiers catalans se renouvellent. Leurs productions se diversifient et rivalisent en retour avec les plus somptueuses parures. Parfait exemple du travail remarquable des bijoutiers de Perpignan, la broche aux épis de blés (IM66004968), qui aurait été fabriquée par Paul Étienne dit Jacques Velzy (1843-1899), est présentée à l’Exposition universelle de Paris de 1889 comme témoin au savoir-faire catalan et de son raffinement. Fleuron de son atelier, la broche représente une gerbe d’or et de grenat, composée de fleurs, d’épis de blé, maintenue par un ruban et autour de laquelle volette un papillon au corps nimbé de rouge ; l’ensemble conjugue la préciosité des matières, le contraste des tonalités et la délicatesse de la composition.

À la fin du 19e siècle, la production de bijoux en grenats s’impose comme la spécialité artisanale de Perpignan. L’arrivée du chemin de fer en 1862 provoque un important essor du commerce, propice à son succès. La mode vestimentaire et l’art décoratif du Second Empire (1852-1870) montrent l’intérêt des créateurs pour les périodes antérieures. Cette mode éclectique et historiciste, sur laquelle l’influence de l’Impératrice Eugénie se fait sentir, se répercute sur le bijou. Au sein de son atelier perpignanais, Joseph Charpentier développe une collection réalisée uniquement en grenats. Il s’inspire des modèles parisiens diffusés par les revues et journaux de l’époque, et par les femmes de la haute bourgeoisie qui se déplacent à la capitale. Le succès est au rendez-vous. Il est rapidement copié par ses confrères.

Ces parures de style Second Empire se reconnaissent à l’opulence des compositions et à l’usage d’entrelacs caractéristiques. Les bijoutiers créent des ensembles complets avec collier, bracelets, broche, boucles d’oreilles, diadème, croix et châtelaine. Parmi les modèles les plus répandus dans les bijoux fabriqués sous Napoléon III, figure la croix badine. En réalité les bijoutiers remettent au goût du jour une croix de grenats du 18e siècle. Elle est qualifiée de badine en raison du tremblement de sa partie basse qui est permis au moyen d’une charnière dissimulée au revers du bijou. Les croix de la seconde moitié du 19e siècle, bien plus imposantes que les modèles anciens, sont généralement surmontées d’un noeud lui aussi en or et grenats. Cette croix demeure l’un des bijoux les plus emblématiques de la production actuelle (IM66004617), même si le noeud sommital n’est plus d’actualité.

Au début du 20e siècle, les bijoux en grenat participent à la mode Art nouveau. Certains bijoutiers s’appuient sur l’esthétique de la ligne courbe, dite en « coup de fouet », d’autres utilisent le motif du trèfle, décliné à l’infini. Les artisans catalans ont su faire évoluer leur art en suivant les modes. Le bijou en grenat devient à cette époque un symbole d’appartenance à la terre catalane. Les fabricants lui confèrent le titre d’emblème du territoire, en lien avec le discours régionaliste, qu’ils s’approprient. Cela explique que Joseph Charpentier, qui préside la chambre syndicale, et s’exprime en mars 1927 dans la revue La Tramontane, déclare : « Le grenat qui, dans le langage des pierres précieuses signifie loyauté et franchise, est bien la pierre de notre race. Elle est rouge comme le sang généreux des fils du Roussillon, elle est enchâssée dans l’or brillant de notre beau soleil. N’a-t-elle pas aussi dans sa gaine dorée les couleurs de la bannière catalane, qui symbolise cette petite patrie à laquelle nous sommes si profondément attachés ? N’est-elle pas Sang et Or… ?».

Le régionalisme, mouvement apparu en France à la fin du XIXe siècle, prône la régénération et la mise en valeur des traditions et des cultures des différentes régions françaises, et des artisanats qui en sont issus. Le courant régionaliste est porté localement par l’évêque de Perpignan, Jules de Carsalade du Pont (1899-1932). Le clergé manifeste un certain intérêt pour le bijou en grenat devenu symbole de la culture catalane, comme en témoigne la commande de plusieurs pièces à caractère religieux auprès d’artisans du département. En 1903, Paul Soulié (1848-1906), bijoutier à Perpignan, réalise un calice serti de grenats formant croix, grappes de raisins et épis de blés, offert à son fils Victor Soulié (1879-1946) le 6 juin 1903. Monseigneur Martin Izart, né à Estagel en 1854, porte une croix pectorale ornée de grenats (IM66002897), fabriquée par la maison Velzy de Perpignan, lorsqu’il devient archevêque de Bourges en 1916.

Le style Art déco exprime une nouvelle modernité par ses formes géométriques et épurées, dans lesquelles le bijou en grenat trouve toute sa place. La géométrie des pierres se marie harmonieusement à la tendance abstraite du nouveau design industriel en vogue. Formés dans les ateliers perpignanais, de nombreux artisans installent de petites boutiques ateliers dans diverses villes du département. Le bijoutier Jean Velzy (1882-1944) porte le bijou catalan à un haut degré de technicité et de beauté. Proche du milieu catholique et personnalité incontournable de la période, il dessine en 1926 les couronnes de la statue de la Vierge de Font-Romeu (IM66005012), commandées par l’évêque de Perpignan. Complexes à réaliser car en partie constituées de bijoux anciens, ces pièces sont confectionnées à Paris par les ateliers Edy. Elles sont exposées sur la statue lors du Couronnement de la Vierge, événement culturel de grande importance, qui mêle religiosité catalane, littérature régionale et création artistique, à l’apogée du régionalisme roussillonnais.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’aura du bijou en grenat faiblit. Il est délaissé par la clientèle aisée, obligeant de nombreuses bijouteries à fermer. Les bouleversements sociaux et économiques de l’après-guerre portent un coup presque fatal au secteur de la production artisanale perpignanaise. Dans les années 1950, de nombreux ouvriers sont reclassés dans des emplois qui dépendent notamment de la mairie de Perpignan. La fraternité, le corporatisme et l’entraide sont alors favorisés par Augustin Colomer, premier président de la Chambre des Métiers et adjoint au maire de Perpignan sous le mandat de Félix Depardon entre 1949 et 1959.

Dans les années 1960, avec l’apparition de la société de consommation, qui modifie les habitudes de vie de ses habitants, le département des Pyrénées-Orientales développe le tourisme de masse. L’usage du bijou change. Portées quotidiennement, et non plus uniquement pour les grandes occasions, les parures doivent être plus solides. L’offre devient plus abondante et se diversifie : les bijoux, souvent fabriqués à l’étranger, sont alors vendus jusque dans les supermarchés. Le bijou en grenat, resté fidèle à ses méthodes et à son design traditionnel est souvent jugé démodé et pâtit de cette concurrence.

Prades est un carrefour où l’artisanat du bijou en grenat connaît un grand développement. Outre les bijouteries ancestrales Quès-Calvet et Quès-Barate, l’atelier de fabrication développé par Georges Lavaill expérimente le moulage des bijoux en grenat. Ce bijoutier, tout d’abord installé à Perpignan est tiraillé entre respect de la tradition et utilisation des progrès techniques. Il met au point le principe d’un paillon émaillé, jugé plus solide, pour s'adapter aux nouveaux usages du bijou. Il expérimente aussi les procédés de reproduction par moulage du bijou, la micro-fusion et l’usage de centrifugeuses, afin de dupliquer en grande série l’armature en or des bijoux en grenat. Il crée une chaîne de production pour ses bijoux industriels mais des problèmes de gestion mettront un terme à cette initiative qui remettait en cause les gestes traditionnels de la fabrication des bijoux en grenat.

Alors qu’il maîtrise parfaitement les techniques de fonte à la cire perdue, Georges Lavaill se rapproche de Salvador Dali qu’il rencontre par l’intermédiaire des bijoutiers perpignanais Henri et Robert Ducommun. Devenu le fondeur attitré des oeuvres en volume de l’artiste, il s’installera définitivement en Catalogne. Durant cette période, quelques pièces de prestige sont offertes à des personnalités lors de visites officielles. Elles démontrent que la créativité des bijoutiers catalans reste intacte. Georges Lavaill crée une croix de Lorraine en grenats pour la venue du Général de Gaulle à Perpignan en 1959. Le bijoutier Ducommun fait réaliser une bague « mouche » IM66004581 qu’il remet à Salvador Dali lors de sa traversée de la capitale nord-catalane en calèche en 1965, bague que le maître de Cadaquès s’empresse de mettre au doigt de son épouse Gala.-

L'Indication Géographique "Grenat de Perpignan"

Depuis 2018, 13 entreprises sont labelisées "Indication Géographique" et par conséquent habilitées à indiquer que leur production respecte les critères de qualité permettant d'utiliser l'appellation "Grenat de Perpignan". Ce sont environ 45 personnes qui oeuvrent à la conception de bijoux en grenat sur le territoire de l'Occitanie avec un chiffre d’affaires annuel de 1,5 million d’euros.

Premiers résultats

Le recensement autorisé par les nombreux propriétaires des bijoux permet de dire que l''essentiel des oeuvres sont datable du 20e siècle (49,45 %) avec surtout des bijoux antérieurs à 1925. Suivent les pièces du 19e siècle (37 %) datées pour la plupart des années 1850 à 1900. Les bijoux à la charnière entre le 19e et le 20e siècle sont moins nombreux (6,59 %), ceux réalisés sous l'Ancien Régime, plus rares encore (4 %) et les oeuvres des joaillers actuels ne représentent que 2% environ du corpus. Une seule pièce est médiévale : l'Encolpion d'Elne.

Pour l'essentiel des bijoux qui ont été recensés sont des broches et des pendentifs. Le motif de la croix badine est sans nul doute le plus fréquent. On le retrouve même sur un calice en vermeil réalisé par Armant Calliat dans le dernier quart du 19e siècle. Colliers, et boucles d'oreilles sont présents dans des proportions voisines (une trentaine pour chaque) ; les bracelets et les épingles de cravate sont aussi assez largement représentées avec une vingtaine exemplaires de chaque catégorie. Parmi les objets les plus rares, il faut noter les épinglettes et les boutons de manchette, de même que les couronnes de statues, au nombre de 4, qui ne sont pas uniquement réalisées avec des grenats.