« Légende et technique des ornements jubilaires
[…] précédemment, Mademoiselle Marthe Dupousier nous avait donné un très beau châle en crêpe de Chine blanc tout brodé. Ce châle, pris, repris, examiné en tous sens avec les patrons avait été abandonné, car nous ne trouvions pas à l’utiliser de manière convenable et vraiment en rapport avec sa grande valeur. Or, un peu plus tard, il se trouva dans un paquet de tissus envoyés de Toulon pour être transformés en ornements un autre beau châle de Chine brodé. Quel parti en tirer pour la sacristie de Monsieur l’Abbé Sigalloux ? Il ne s’harmonisera avec aucune autre chose… De là naquit l’audacieuse idée de lui demander d’en faire don au monastère – car avec le premier châle nous aurions une belle chape. Il répondit bientôt : « C’est un souvenir de famille, mais je viens d’apprendre la mort de mon cousin à qui il appartient autant qu’à moi : gardez-le donc puisqu’il m’est permis d’en disposer ».
Obligées de le confier au teinturier, il est envoyé à Toulouse d’où peu après on écrit : « le châle a disparu… il a dû être volé dans le magasin… » Grande est la déception ! mais lorsqu’on en parle à la récréation, les moniales trouvent un excellent moyen d’y remédier : c’est de lancer un appel à leurs parentes et amies pour solliciter des châles qui dorment sûrement au fond de bien des armoires… Cela se passait dans l’été de 1936.
L’accueil fut empressé, généreux, et la correspondance à ce sujet forme un vrai « Livre d’or » de l’amour de Dieu. Pour lui et pour les chères Clarisses on sacrifiait : « le cher souvenir’, le « mémorial des jours heureux », « l’héritage d’une mère chérie », « un trésor de famille »… Bientôt, il devenait possible de projeter l’assortiment pour une grand’ messe avec : chasuble, chape, dalmatiques et leurs accessoire. Les arrivées se succédant toujours, les ambitions grandissaient en proportion… Quelques châles encore et l’on pourrait avoir un Pontifical complet ! … Nous n’osions presque pas en rêver, mais encouragées par les succès déjà obtenus, un nouvel appel fut lancé pendant les vacances de 1937. On y répondit comme au premier, de sort qu’il n’y eut bientôt plus de doute de pouvoir ajouter aux pièces déjà prévues : deux dalmatiques de diacre d’honneur – deux chapes d’assistant – voile huméral pour la bénédiction – voile de diacre – voile de pupitre – deux voiles de porte missel – grémial – devant d’autel et conopée pour l’autel majeur – devant d’autel pour l’autel de l’Enfant Jésus, celui de Notre-Dame et celui de la salle capitulaire – étole pastorale et celle d’assistant – cinq wimpas pour les acolytes – la mitre avec son porte-mitre et les sandales.
La mise en œuvre commença le soir, dans le calme, sous la présidence de notre Très Révérende Mère Abbesse ; les châles furent dépliés, examinés, confrontés, pour assortir les dessins, les qualités, les divers tons de blanc et pour que rien ne soit perdu. Il apparut alors que les dessins commencés à la gloire de sainte Claire ne s’adaptaient nullement aux broderies de Chine ; elles demandaient plutôt un centre accosté d’anges adorateurs ou musiciens, tandis que d’autres pourraient se placer entre les motifs. Notre Petit Jésus s’imposa aussitôt avec sa cour, et comme aucun mélange ne convenait, le même thème fut répété sur les principales pièces. Là où son image ne put trouver place, elle fut remplacée par le mot JESUS. Sept fois nous pouvons admirer notre Petit Roi dans toute sa majesté, vêtu de dentelle, paré de sa couronne et de ses bijoux merveilleusement reproduits : sur le chaperon de la chape du célébrant, sur le dos de la chasuble, au milieu du voile huméral de bénédiction, de deux devants d’autel, du bandeau du conopée et du recto de la mitre.
Près de huit cents anges de toutes tailles et de toutes catégories sont en fonctions dans les attitudes les plus variées : les uns balançant des encensoirs, d’autres adorant à genoux, jouant divers instruments, se cachant derrière des roses, coupant des tiges avec de grandes cisailles, enfonçant à grands coups de marteau les clous qui retiennent un PAX… etc… etc
L’étole pastorale se distingue seule avec la sainte Vierge et saint Joseph
Les dates du Jubilé : 1887-1937 ont trouvé place au bas des orfrois de la chape et de la chasuble. La composition était une grande chose, mais quelle exécution assez riche et délicate allait donner de la vie à l’ensemble, obtenir aux châles et aux broderies le fondu artistique, sans sortir d’une note modeste ?
Un camaïeu havane pour toute la partie peinture à l’aiguille permit de garder une tonalité blanche très spéciale, que le fond nué or vert pâle fit ressortir admirablement, donnant, par ses mouvements tournants, des reflets de lumière heureux et châtoyants. Quant aux broderies des châles eux-mêmes, broderies de soie blanche, flore d’une richesse et d’une variété inouïes, aux nervures multiples et fouillées, entremêlée d’oiseaux merveilleux, tous les détails en furent repris et rehaussés avec des fils d’or fin, soutenus d’une soie jaune d’or pour conserver toute leur valeur.
La doublure en satin aurore très doux et des glands or et blanc complètent l’harmonie.
[…] Cherchant le moyen de faire le voile huméral avec des broderies restant dans leur entier et non une bande coupée, nous ne pouvions trouver de solution heureuse. A ce moment, Madame Bénézech envoie une grande écharpe ayant juste la longueur et la largeur voulues, et la partie unie du haut permettant le déploiement des anges brodés sur toute la longueur. Ce même jour, le courrier apportait la nouvelle que le châle volé depuis plus de six mois venait d’être retrouvé dans le magasin, porté on ne savait par qui – sûrement par les anges au sujet de notre Roi ! Il forme le devant de la chasuble, très décoratif, avec de beaux oiseaux de paradis.
En même temps arrivaient trois très beaux châles, don de Madame Lasserre. En famille, on avait trouvé juste que ces souvenirs de valeur revinssent à leur fille et sœur moniale clarisse qui les avait sollicitées pour le bon Dieu. L’un fut affecté au dos de la chasuble ; le deuxième et le troisième à la dalmatique du diacre et à l’étole pastorale. Un quatrième qui les accompagnait, coupé en robe, fut employé pour des accessoires et une wimpa.
La dalmatique du sous-diacre fut en partie constituée avec le châle de Mademoiselle d’Anglemont et celui de la comtesse de Vogüe.
Une grande robe brodée en forme, procurée aussi par la comtesse de Vogüe et don de Madame Heuzé fit une dalmatique de diacre d’honneur ; la deuxième se tailla dans le beau châle de Monsieur d’Ynglemare.
Le châle de Mademoiselle Depousier forme le devant de la chape du célébrant et celui de Madame Meunier le dos.
Madame Saillard envoyait à son tour un châle ayant aux angles deux belles pagodes et deux chinois en grand costume ; de suite il fut destiné aux rideaux du conopée.
Madame Barthes adressait un premier châle, demandant pardon au bon Dieu d’avoir hésité à en faire sacrifice. A la mesure voulue, il constitua le grémial. Ainsi, l’Enfant Jésus procurait les choses de telle sorte qu’il semblait que chacune eut été spécialement brodée pour l’usage que nous lui donnions.
Quelques jours après, Madame Barthes expédiait deux autres petits châles qui firent les deux voiles des pupitres porte-missel.
Le châle coupé en robe de Madame Labey laissait la possibilité de trouver le voile de pupitre. Celui de Madame Caville se prêtait à devenir 1ère chape d’assistant, mais nous n’avions rien en mains pour l’assortir. Notre Petit Roi, cependant, savait où se trouvait le complément voulu. La Directrice de Saint Denis, Mademoiselle Rogez, nous offrit un châle, ayant lors d’un séjour chez sa sœur, en Bretagne, entendu Madame Dauchez parler de nos demandes. Comme par miracle, c’était juste ce qui convenait !
Peu après, Madame Pentous en offrait un, assortissant si bien celui de Mademoiselle Marty, que la deuxième chape d’Assistant était constituée.
Restaient les devants d’autel, exigeant des longueurs et des dessins bien spéciaux. Jésus y veillait et Mademoiselle Nicole de Rose arrivait encore au moment voulu avec une deuxième belle écharpe qui, partagée par le milieu, fournit ces deux pièces si désirées.
La grande écharpe de la Marquise de Laubespin devint le voile de diacre.
Nous avions encore à trouver l’étole d’assistant, quatre wimpas et tous les accessoires ; nous attendions, disposant cependant de plusieurs châles unis et du beau de Madame de Castelnau, puis de certains restes des châles employés, quand nous parvinrent peut-être les plus beaux parmi les très beaux déjà reçus : c’est la comtesse de Lastours, heureuse d’offrir à l’Enfant Jésus un souvenir très cher de son mari, puis la comtesse de Fontenaille qui réservait son châle pour l’offrir à sa fille lors de ses 18 ans, et avait hésité quelque temps entre le sacrifice et le légitime désir de garder ce trésor de famille.
Enfin, Madame du Mesnil envoya encore un très beau châle faisant la paire avec celui de la comtesse de Lastours. Notre Petit Roi montrait nettement par là qu’il voulait associer à sa gloire saint François et sainte Claire, car devant ces derniers présents naquit la conception de deux chasubles spéciales : la première, taillée dans le châle de Madame de Lastours, aurait, pour former la colonne du dos, un grand saint François émergeant d’un tronc de chêne dont quelques branches compléteraient l’ornementation ; en bas, les armes de l’Ordre, le tout sur couchure d’or. Sur le devant, la croix sortant d’un tronc de chêne, et les dates du jubilé.
La seconde chasuble, prise dans le châle de la comtesse de Fontenailles, en serait la réplique pour sainte Claire, avec un olivier à la place du chêne ; le devant serait l’arbre lui-même, simplement coupé et en haut duquel s’envolerait une colombe.
Ls châles de Madame de Castelnau et de Madame du mesnil fourniraient les accessoires, après avoir déjà servi pour les devants d’autels de la salle capitulaire et de Notre-Dame.
La mise en exécution commença sans retard ; même technique que pour les ornements du petit Jésus.
La mitre et les sandales furent entièrement brodées sur fond d’or, imitation des broderies de Chine pour la partie florale.
La marquise de Rose, la comtesse de Vogüe, Mme Lewden, Mme de Laprade, Mme Viginet, Melle J. d’Hyver de Las Dèses, Melle de Médrano, Mme Flandin, Mme Mills, Mme Heuzé, Mme du Mesnil offrirent des châles de Chine ou unis, ou brodés en couleur, ou peints ou d’un tissage spécial ; ils n’ont pas servi, non plus qu’une robe et un manteau d’enfant, mais tout sera employé dans la suite, avec les rares chutes restant des châles brodés et les tout petits de Madame Kintz et de Madame Pentous.
Le Petit Roi du monastère a ainsi reçu en hommage un total de 38 châles blancs.
A cette occasion furent encore envoyés des châles de Chine brodés, mais teints en noir, ainsi que des châles de grenadine. Dans un autre ordre d’idées, ils feront des ornements noirs très beaux. Nous en avons onze donnés par Madame Meunier, Mme Piquenard, Mme Gély, Mr l’abbé Sigalloux, Melle M. J. d’Hyver de Las Dèses, Melle Langeron et Melle Depousier.
L’Officine du Saint Enfant Jésus rivalisa avec Saint Michel pour compléter, en ce qui la concernait, les parures liturgiques du Jubilé.
Un magnifique drap de lit, orné de dentelle du Puy et n’ayant jamais servi fut offert par Mme Dauchez. C’était exactement le nécessaire pour la nappe d’autel.
Melle Marie-Isabelle Singer, avant son entrée au monastère, avait donné deux belles nappes dans leur neuf. Elles furent transformées en nappes de communion.
Au jeu de linge sacré brodé pour la circonstance s’ajouta le bel amict offert par Monseigneur notre archevêque comme souvenir du Congrès de Buenos-Ayres où on lui en avait fait présent.
Les trois aubes et le rochet en linon orné d’une magnifique dentelle Renaissance, idéalement légère, forment la partie la plus importante.
L’aube du célébrant a comme médaillon de devant le Saint François de celle du pape, sur fond à jours ; à droite et à gauche, sainte Claire et sainte Agnès d’Assise, et des inscriptions au point de Venise, rappelant les quatre vœux, la devise séraphique et celle de la Chevalerie. La masse opaque des lettres ressortant à côté de lys et de roses transparents forment un heureux contraste. Les deux aubes d’assistants ont le dessin assorti, l’une reproduisant des lys, l’autre des roses. Comme encolure et pattes d’épaules, toutes ont une grille très simple.
De cet ensemble si délicat, le rochet est peut-être la pièce de plus grande valeur par la finesse et la beauté du travail. Il porte au centre du devant l’Enfant Jésus sur fond ajouré ; à ses côtés, la Sainte Vierge et saint Joseph. Les brides sont festonnées et à picots, les points remplissant les motifs variés à l’infini…
A l’aurore de l’année préparatoire au Jubilé (17 novembre 1936) Mgr notre Archevêque daignait offrir un magnifique ostensoir à la communauté.
Nouvelle couronne pour l’Enfant : « elle fut exécuté, comme les agrafes des chapes et des voiles et les aigrettes de la mitre, par Messieurs Félix, les habiles orfèvres toulousains, avec l’or, les bijoux, les pierreries, recueilli ces dernières années grâce à la générosité de nos parents et amis, heureux de participer au témoignage d’amour et d’action de grâces que la communauté tenait à rendre à son Roi pour les innombrables bienfaits reçus en ce demi-siècle d’existence. »
monastère féminin créé en 1887 et fermé en 2015