En 1262 Jacques (Jaume) Ier le Conquérant roi d’Aragon, de Majorque,... (mort en 1276) déclare par testament répartir ses États entre ses deux fils : Pierre III reçoit l'Espagne ; à Jacques sont attribués Majorque, le Roussillon et le comté de Montpellier. L’infant Jacques prend possession de son royaume dit royaume de Majorque et désigne Perpignan comme capitale et décide d'y élever une résidence. Perpignan demeure la capitale de ce royaume jusqu'à la prise de la ville par le roi d’Aragon Pierre IV le Cérémonieux en 1344. Les princes aragonais séjournent assez régulièrement au palais de Perpignan et y font réaliser des travaux concernant les vitraux de la chapelle et la clôture des baies du palais, dont les archives conservent la trace. Le Roussillon est occupé de 1462 à 1493 par les troupes françaises. Le palais subit en 1475 un siège violent et des bombardements qui endommagent probablement vitrage et vitraux. Au retour des rois aragonais le palais apparaît inadapté à la résidence ; sa vocation militaire est désormais affirmée sous tous les régimes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Les chapelles
La chronologie de l'édification du palais et surtout de ses chapelles peut être suivie grâce aux sources. Les travaux ont commencé dès 1274, le 29 juin de cette année, Raymond Pau lapicide et maître de l’œuvre étant affranchi par le roi Jacques (Jaume) Ier. En 1285 la construction du palais est suffisamment avancée pour que le roi Jacques (Jaume) II puisse y résider et s'en évader lors d'un siège entrepris par son frère Pierre (Pere) d'Aragon. Dès 1295 la chapelle basse, consacrée à Sainte-Madeleine est mentionnée et probablement achevée. Le 13 avril de la même année l’évêque d’Elne autorise le chapelain Fernand Fabre à recevoir les dons liés aux divers autels de la chapelle haute Sainte-Croix achevée ou à achever. La bulle du pape Boniface VIII datée du 28 janvier 1300 accorde aux visiteur des chapelles des indulgences. Enfin, un acte de donation du 19 octobre 1309 concernant les desservants et le chapelain signale probablement l’achèvement de la construction. D'une architecture comparable à celle de la cathédrale de Palma et surtout des chapelles de l’Almudaina de Palma et du château de Bellver, édifices contemporains, les chapelles du palais de Perpignan ont une valeur hautement symbolique comme chapelle palatine, comparable aussi aux Saintes-Chapelles par la richesse des reliques qu'elles conservaient, en particulier une relique de la croix du Christ dans la chapelle haute. En 1497 après le dernier séjour d'un roi aragonais, un inventaire du Palais signale que la chapelle basse est entièrement pleine de tonneaux de poudre. La chapelle basse a donc perdu dès la fin du 15e siècle sa fonction religieuse. La chapelle haute, en revanche reste affectée au culte jusqu'en 1838, date du transport des dernières reliques à la cathédrale. Elle est alors transformée en magasin. Pour ce nouvel usage, elle est entresolée, la baie orientale (baie 0) est murée et les quatre autres fenêtres sont modifiées ; murs et voûtes sont badigeonnés et le sol nivelé.
Le décor vitré des chapelles haute et basse est difficile à imaginer en l'absence de tout élément conservé in situ. Les textes anciens n'apportent pas plus d'informations, simples mentions de travaux de réparations partiellement documentés au temps des rois aragonais. Peut ainsi être mentionnée l'intervention en 1403 de Jean (Joan) Baro peintre appartenant à une dynastie d'artistes bien documentée à partir du milieu du 14e siècle sur les vitraux nord de la chapelle Sainte-Croix . Les modestes éléments connus semblent avoir été trouvés en fouilles après la Seconde Guerre mondiale dans des remblais séparant l'ancien et le nouveau dallage de la chapelle basse (Durliat, 1952). Ils sont difficiles à exploiter dans la mesure où leur origine exacte ne peut être précisée. D’autres (?) fragments semblent avoir été découverts lors des travaux de démurage de la rose ouest de la chapelle haute menés sous la direction de l’architecte en chef Sylvain Stym-Popper et jugés par lui d’un dessin proche de celui des fausses verrières peintes (Stym-Popper, 1969). En admettant qu'ils proviennent bien des vitraux de la chapelle, les quelques fragments figurés reproduits par Marcel Durliat (Durliat, 1952), pourraient témoigner de l'existence de panneaux légendaires de petite échelle. Ces parties de couleur s'inséraient-elles dans des grisailles décoratives, suivant un système dit mixte, comme le suggèrent le plus grand nombre des fragments conservés ? Fleurons de bordures, filets perlés et surtout motifs végétaux stylisés à fond de cages à mouches peints sur verre blanc conservés au dépôt archéologique peuvent en effet être comparés aux vitraux simulés peints présents dans les deux chapelles, dont ils sont probablement contemporains.
Dans le contexte d'un palais-forteresse et en tenant compte de la présence des bâtiments adjacents, toutes les baies des chapelles n'ont pu être ouvertes et vitrées. Les baies 1 et 2 de la chapelle basse à trois lancettes et remplages, les baies 3 et 4 de la chapelle haute à deux lancettes et remplages ont donc reçu un décor peint simulant des grisailles décoratives à motifs végétaux stylisés sur fonds de cages à mouches, qui s'inscrit dans l'ensemble du décor peint des chapelles. L'état de conservation de ces vitraux simulés apparaît aujourd'hui très inégal.
La peinture de la baie 3 de la chapelle haute apparaît presque entièrement refaite ; celle de la baie 4 de la même chapelle haute semble très complétée. Ces décors suivent dans les deux chapelles des principes identiques, ce qui suggère qu'ils ont été réalisés à peu de temps de distance. Les verrières simulées appartiennent au décor initial des chapelles et peuvent de cette manière être datées vers 1300, comme la totalité des pièces de verre conservées. Ces transcriptions fidèles du dessin et de la structure des grisailles décoratives contemporaines sont peut-être l’œuvre d’un artiste polyvalent, peintre et peintre verrier.
L’état des chapelles et de leur décor a été fixé lors des restaurations menées après la Seconde Guerre mondiale, dès 1946. La chapelle haute est la première concernée : le plancher séparant en deux la chapelle posé vers 1840, est supprimé, les baies obstruées sont ré ouvertes et les vestiges du décor peint dégagés, nettoyés puis fixés par M. Malesset. S’il ne subsistait plus rien sur les fenêtres aveugles des pans coupés (baies 1 et 2), en revanche, une patine fut appliquée sur les parties écaillées des deux faux-vitraux des baies 5 et 6. Le renouvellement des vitraux fut envisagé en s’inspirant librement des verrières simulées. L’opération fut confiée au verrier Max Ingrand. L’ensemble des travaux concernant la chapelle haute ont été réalisés de 1947 à 1955.
Pour la chapelle basse les restaurations furent réalisées seulement après la suppression de la citerne voisine en 1958, qui y apportait une humidité constante. Du côté nord furent rapidement démolies les constructions modernes qui oblitéraient les baies 3 et 7. La chapelle ayant été assainie, la restauration de son décor peint est entrepris, y compris pour les vitraux simulés des baies 1 et 2. Les nouveaux vitraux sont composés par l’atelier Max Ingrand, qui s’inspire cette fois très précisément du dessin des vitraux peints. Les travaux semblent achevés en 1966.
Vitraux et peintures des appartements
Dans les parties résidentielles ou publiques du palais, salles Timbres au nord, grande salle au sud, appartements royaux au nord et au sud de la chapelle subsistent de très importants vestiges du décor peint qui ornait les murs et parfois les plafonds, comme celui de la loggia de la reine. Des peintres de Perpignan de la dynastie des Baro sont documentés pour y avoir travaillé, comme Jean payé en 1401 pour avoir peint le plafond de la galerie haute précédant le « Paradis ». Cet artiste polyvalent travaille en 1403 à la réparation des vitraux de la chapelle haute. Dans les parties d’habitation, pour s'abriter des vents violents qui battent le pays, diverses solutions sont envisagées, dont certaines comprennent l’emploie du verre. Les baies originales géminées cintrées dans l'appartement de la reine par exemple disposaient semble-t-il des volets de bois intérieurs, dont les feuillures en place semblent témoigner. Cependant, les sources disponibles à partir du milieu du 14e siècle mentionnent de plus en plus souvent la clôture des baies par du verre : en 1346 le vitrage du « Paradis » est réparé ; un inventaire des magasins signale que « de grans pans de verre à vitre qui ont servi aux fenêtre de la chambre des Timbres » (aile gauche avaient été posés avant 1373 ; en 1377 la chambre des Timbres et la chambre dite de la « lur de Rome » étaient éclairées respectivement de de 4 et de 2 fenêtres à deux fenêtres contenant du verre. Au même moment, les textes mentionnent aussi des achats de toile, le plus souvent végétales, probablement en lin qui pourront être cirées. En 1396 l’acquisition de toile dite de Constance pour la chambre des Timbres où a déjà été mentionnée la présence de verre suggère l’existence de fenêtres mixtes ou se combinaient les deux types de clôtures. Il en était ainsi probablement dans les chambres du roi et de la reine, même si les sources mentionnent seulement pour ces espaces des achats de toiles cirées à la fin du 14e et au début du 15e siècle. Dans les documents de la période 1396-1407 voisinent achat de toiles et travaux au vitrage avec la mention exceptionnelle d’un paiement en 1406 pour « un pan de verre peint ». Dans ce contexte il est possible d’imaginer des fenêtres composées d’impostes fixes vitrées, le reste étant clôt de toile cirée. On peut croire la partie en verre assez petites (de deux pans carrés si l’on se réfère à des mentions qui reviennent dans des documents de 1346,1373 et 1377, sachant que le pan vaut 0,12 m2 environ). Ces choix ne relèvent pas seulement d'impératifs économiques, car les toiles doivent être régulièrement changées, ou recirées mais de la qualité de l’éclairage ainsi obtenu : les toiles cirées préservent l’intimité des espaces et versent une lumière égale.
Né à Mulhouse. Conservateur en chef du patrimoine - Centre André Chastel (Laboratoire de recherche en Histoire de l'art - UMR 8150 du CNRS) Institut national d'histoire de l'art, 2, rue Vivienne.
Directeur du Comité français du Corpus vitrearum.
Vice-directeur de la Revue de l'art.
Docteur habilité à diriger des recherches (Université François Rabelais, Tours).