Les circonstances exactes au cours desquelles Gustave Fayet et Richard Burgsthal firent connaissance ne sont pas connues avec certitude. Plusieurs hypothèses ont été proposées. L’une d’elles situe cette rencontre au début d’avril 1910, lors de l’exposition de tableaux et de dessins de Richard Burgsthal à la galerie Henri Barbazanges, 109, rue du Faubourg Saint-Honoré. Une autre envisage en premier lieu la rencontre de Redon et de Burgsthal à Bruxelles, au salon de la Libre esthétique de 1909, puis de Burgsthal et de Fayet à la fin de l’année : Gustave Fayet aurait demandé à faire connaissance avec l’auteur de La galère d’Hamilcar, œuvre de Burgsthal présentée à la galerie Rosenberg et qu'il a beaucoup admiré.
Le parcours humain et artistique de René, Jean, Théophile Billa dit Richard Burgsthal, né à Nice le 22 juillet 1884, mort à Antibes-Juan-les-Pins le 27 octobre 1944 est surprenant. Pianiste de formation, il est conduit par la musique même vers la peinture, et passe de la peinture à l'art de la verrerie. Verrier et peintre verrier pour Fontfroide, il devient après la mort de son mécène, Gustave Fayet, restaurateur et créateur de vitraux dans de nombreux édifices souvent classés Monuments historiques. Il enseigne à l’École nationale des arts décoratifs, étudie la dégradation des verres par les lichens, preuves d’une remarquable polyvalence.
« Pour apprendre à Burgsthal le vitrail, Gustave Fayet commença par acheter des caisses de vitraux cassés. Et Burgsthal passa un an à les assembler sur sa table de salle à manger avant que l’on achète la sablonnière et que l’on crée l’atelier des verreries des Sablons" (Gardey de Soos, 1984, p. 96). Cette anecdote n’est peut-être pas loin de la réalité.
Après l'étape du montage de verrières avec des éléments anciens et l'épisode des vitraux papier, Gustave Fayet et Richard Burgsthal décident en 1912 de s'engager dans l'aventure qui conduit à la fondation d'une verrerie et à la fabrication de vitraux. Pourquoi n'avoir pas fait appel à un atelier professionnel et aux produits si riches de l'industrie du moment ? Gustave Fayet ne pouvait ignorer les qualités des verres des vitraux de Tiffany, vus à la galerie L'Art nouveau de Sigfried Bing, ni leurs répliques industrielles de Léon Appert, aptes à satisfaire toutes les formes de la modernité. Non, « il fallait du verre, de ce verre spécial, introuvable, aux vivantes aspérités de pierre précieuses à peine sorties de leur gangues (…) fait pour une durable union entre le granit et qui répand, du haut des baies ogivales, une si austère et luxueuse clarté » (Harlor, Le Mercure de France, octobre 1924). A la verrerie fondée en 1912, non loin du château d'Igny, résidence habituelle de Gustave Fayet à cette date, Richard Burgsthal réalise le rêve fou de produire le verre des vitraux de Fontfroide. Gustave Fayet apporte le financement et achète une sablonnière à Bièvres, Richard Burgsthal prend la direction de l'atelier, aidé par une petite équipe de verriers parisiens spécialisés, Gouget pour la fusion du verre et Bouvet pour la mise en plomb, car fabrication des verres et exécution des vitraux se font ici dans le même espace. S'y côtoient un petit four droit à charbon et une table de montage, comme le présentent des photographies anciennes (Arnaud, 1995, annexe 25). Le volume de l'atelier est encore conservé : il s'agit d'une construction en charpente avec remplissage de briques, de dimensions assez modestes, dont un côté sur la longueur est largement vitré. Quel est donc l'usage de l'atelier dont dispose Burgsthal à Fontfroide, encore visible dans la cour dite Louis XIV. Était-ce le lieu de fabrication des premiers travaux à l’aide de pièces anciennes ? Un relais entre l’atelier de Bièvres et l’abbaye au moment de la pose ? Cet espace contient encore une table de montage, des verres Burgsthal, un carton fixé au mur et divers documents graphiques serrés dans les casiers. La table de montage semble avoir été blanchie à la chaux, à la façon de ce qu'indique le traité du moine Théophile, rédigé au XIIe s., ouvrage que connaissait sans doute Burgsthal ; le mythique manuscrit technique de 1202, qu'il aurait eu à sa disposition, n'a pas été retrouvé.
Très vite opérationnel, le projet tient du paradoxe. Dans son esprit, il ne se veut aucunement rationnel et n'est pas guidé par l'archéologie. Ici, ni historicisme ni nostalgie. Certes Gustave Fayet entreprend de retrouver les volumes anciens de l’abbaye, tend à rechercher la pureté originelle du lieu, mais sans se référer au vitrail dit cistercien. Lorsqu'il meurt en 1925, l'entreprise de « restauration » et de renouvellement du décor de l'abbaye est seulement sur le point de s'achever, après plus de quinze ans d'efforts.
Dans ce contexte, la réalisation des décors et spécialement des vitraux se fait à peu près complètement sans le contrôle de l’État. En 1916, l'administration des Monuments historiques envoie sur place l'architecte Henri Nodet, pour se rendre compte des travaux en cours. Comme les vitraux de Burgsthal ne soulèvent pas d'opposition particulière et surtout comme tout est pris en charge par le propriétaire, il est décidé de ne pas intervenir (MAPA, Dossier Correspondances et travaux 81/11/206).
Si les premiers verres sont produits à Bièvres dès 1912, ce dont témoigne un échantillon daté, conservés dans les réserves du CNAM à Paris, les recherches menées en 1912 et 1913 portent seulement leurs fruits en 1914. Les feuilles produites, aux matières très diverses, sont des galettes de verre coulé de forme ovoïde et d'environ dims, d'une épaisseur irrégulière et marquées d'un léger relief sur les deux faces. Les premiers vitraux qui en sont tirés sont les trois verrières « musicales » destinées au baies du mur est de la salle de Musique, l'ancien dortoir des moines.
La rose sud de l’abbatiale est présentée (baie 204) et un projet de vitrail Maria de Magdala était habitée par sept démons pour une baie du bas-côté sud de l'église (baie 14). A partir de 1914 et jusqu'en 1925, s'échelonnent la conception et la mise en place de l'ensemble des vitraux de l'église abbatiale, où se développe un programme iconographique très élaboré, qui accorde une place particulière aux représentations de saint François d'Assise (baies 103 à 111), des saints de Fontfroide et des patrons des membres de la famille Fayet (chapelles sud de la nef).
En 1924 la verrerie des Sablons est fermée. Richard Burgsthal déplace ses activités et cherche à les étendre en fondant la Société provençale de verrerie d'art à la Ciotat, où sont réalisés les derniers vitraux de Fontfroide, ceux de la façade ouest, les deux vitraux de l'Apocalypse (baies 113 et 114) et la rose de la Création (baie 214).
La réalisation de ces verrières implique la seule intervention de l’État sur le vitrage de l’église (1923-1925). Il faut en effet restaurer la disposition des baies, ce qui conduit Gustave Fayet à demander l’aide des Monuments historiques. Une photo et un dessin de l'architecte Henri Nodet montrent la disposition alors en place, celle d'une baie à 5 lancettes, tympan à 5 soufflets et 2 trilobes dans les écoinçons, qui pourait dater du 15e siècle, bien que son exécution soit attribuée au 19e siècle. L’État prenant en charge le tiers du coût des travaux et l'inspection des Monuments historiques ayant donné son accord, Madeleine Fayet accepte le devis, si bien que les travaux sont autorisés à la fin de l'année, conduisant à la disposition actuelle (MAPA, Dossier Correspondances et travaux, 81/11/206). le décor vitré de Fontroide est en place alors que meurt Gustave Fayet le 24 septembre 1925.
Miraculeusement associés, production verrière et création inspirée, mécénat actif et complicité révèlent cependant aujourd'hui l'une de leurs faiblesses. Produits dans des conditions matérielles sommaires par un apprenti sorcier de génie, les verres des vitraux de Burgsthal se fragmentent avec le temps de façon alarmante : leurs compositions sont particulièrement sensibles aux altérations et les opérations de recuisson n'ont pas été bien menées.
Les recherches menées au cours des dernières années par le Laboratoire de recherche des Monuments historiques et par le peintre verrier Pierre Rivière au sujet des vitraux de l'église, dont les verres se délitent, semblent proposer des solutions adaptées. Envisagée dès 1990, l’intervention sur la baie axiale de l’abbatiale (baie 200, Christ et les évangélistes) a eu lieu en 1999 par l’atelier Brenas-Pech de Carcassonne. Des solutions sont recherchées pour lutter contre la dégradation des verres : collages silicone, usage d’un stock de verres Burgsthal qui permet de combler la plupart des lacunes (Archives DRAC LR, CRMH, carton 1031). Pour aborder la question de ces dégradations de façon plus attentives, un rapport d'expertise est réalisé en 2000 par Isabelle Baudouin-Louw (Archives DRAC LR, CRMH, carton 1031). Constat est fait de l'atmosphère d’humidité moite très insalubre de l'église. Le traitement des problèmes de fissuration de la masse vitreuse allant jusqu’à la fissuration totale, est envisagé par l'usage de collages. Est aussi observée une contamination biologique par algues et lichens extrêmement active, surtout sur le côté nord de l’abbatiale : l'altération des jus externes mêlés aux algues est avancée, tandis que la grisaille se décolle en face interne : préconisation est faite d'une meilleure ventilation de l'église. Si les mises en plomb sont correctes, l'auteur s'inquiète des traces de rouille nombreuses, peut-être liées au décapant utilisé pour la soudure ? Les serrureries, en revanche, très hétéroclites, sont à réviser. Constats et préconisations proposées par le peintre verrier Pierre Rivière dans son étude de 2002 sont comparables (Archives DRAC LR, CRMH, carton 1775), mais le nettoyage des verres et leur consolidation, le fixage des grisailles, le traitement par fongicide, la reprise de la mise en plomb et de la serrurerie s'accompagnera de la pose de doubles verrières en mise en plomb simplifiée. L'étude d'un protocole se poursuit en 2002-2003 sous la direction du LRMH avec test de consolidation des verre à l’aide du Paraloïd B72 et recherche de l'origine du vieillissement particulier des verres de Burgsthal (Archives DRAC LR, CRMH, carton 1031). De 2003 à 2005 sont restaurées les cinq baies du bas-côté nord, dont le triptyque de saint François (baies 103-111), puis les trois fenêtre de l’absidiole nord sur le thème de l’enfer et du paradis (baies 7, 9 et 11), les verrières du 19e siècle de la sacristie et les cinq baies du trésor faites avec des éléments anciens (baies 205-213). Des infiltrations de méthacrylate de méthyle sont faites dans les parties fissurées. Soutenue par la DRAC et la fondation Gaz de France l'opération est achevée en mai 2005 (Archives DRAC LR, CRMH, DDOE Rivière CD rom ; ibid., dossier de presse pour l’inauguration). En 2009 Pierre Rivière repose après restauration les vitraux de l’absidiole sud (baies 8, 10 et 12). Le même restaure en 2009-2010 aux frais des propriétaires le vitrail de la baie 6, Les archanges, suivant le protocole établi avec usage de fongicide, et infiltration de Paraloïd B72 (Archives DRAC LR, CRMH, DDOE Rivière).
En 2008 la chapelle dite des Morts reçoit trois vitraux (2 baies à 1 lancette, cernant un oculus) commandés par les propriétaires de l’abbaye au père Kim en Joong, réalisés à l'atelier Loire.
Né à Mulhouse. Conservateur en chef du patrimoine - Centre André Chastel (Laboratoire de recherche en Histoire de l'art - UMR 8150 du CNRS) Institut national d'histoire de l'art, 2, rue Vivienne.
Directeur du Comité français du Corpus vitrearum.
Vice-directeur de la Revue de l'art.
Docteur habilité à diriger des recherches (Université François Rabelais, Tours).