L'existence même et l'histoire de l’édifice sont étroitement liée à celles de la bastide de Carcassonne. Lorsqu’à partir de 1262 les populations de la ville basse sont transférées sur le site actuel, on y construisit les églises paroissiales de Saint-Michel et de Saint-Vincent qui existaient déjà dans l’ancien bourg. Ce fut d’abord de modestes chapelles. A la faveur du progrès économique rapide de la ville basse, l'agrandissement des édifices paroissiaux est envisagé à court terme : en août 1283, par une lettre d’amortissement le roi de France Philippe III le Hardi autorisa le recteur et les paroissiens de Saint-Michel à acquérir neuf maisons pour augmenter l’église et le cimetière. En octobre 1308, Philippe IV le Bel concéda au recteur, aux jurés et aux paroissiens l’acquisition de quatre domunculas, également au profit de l'agrandissement de l'édifice et renonça au cens annuel au profit du chantier. Grâce à ces repères, la construction de l'église Saint-Michel peut être située vers 1280-1310. Il s'agit d’un édifice de type « méridional », composé d'un chœur de deux travées avec abside à 5 pans voûtés, prolongé par une nef unique, à l’origine couverte d’une charpente reposant sur des arcs diaphragme, et flanquée de chapelles.
En 1803, le siège cathédral provisoire, est en fait définitivement, installé à Saint-Michel et non à Saint-Nazaire, l'activité de la ville étant à cette date principalement concentrée dans la ville basse. Les premiers réaménagements du chœur pour l'adapter à sa nouvelle fonction ne concernent pas le vitrage. Cependant, dans la nuit du 4 au 5 novembre 1849 un incendie se déclare dans le chœur. Les témoins mentionnent l’incendie des stalles et de plusieurs grands tableaux disposés dans l’abside ; le vitrage est endommagé, mais semble avoir partiellement été préservé en partie grâce à la pluie qui tombe violemment sur les verrières (?). L’architecte des édifices diocésains Léon Ohnet (1813-1874) est chargé du chantier. Le devis approuvé le 21 septembre 1850 prévoit la « dépose, repose et raccordement des 5 châssis vitrés de l’abside ».
Dans un premier temps, la restauration n'est pas envisagée, seules des « vitreries en raccord » étant envisagée. Rien n’est fait dans l'immédiat, tandis que se prépare une véritable restauration des fragments anciens.
En 1855 le peintre verrier de Clermont-Ferrand Étienne Thevenot insiste pour obtenir le marché des travaux des vitraux du chœur. Il est poliment écarté, le travail étant réservé à l’atelier de d'Alfred Gérente. Le devis général de 17 904, 46fr. préparé par Léon Ohnet prévoit pour la baie d’axe qu' « un tiers de vieux panneaux extrêmement délabrés », soit 5,10m2, devront être « recomplétés », remis en plomb et complétés par des parties neuves, 10,20m2 « à refaire entièrement semblable aux anciens panneaux » et mastiqués. Les quatre autres fenêtres sont à remplir de grisailles à bordures de couleur. Ce devis est approuvé en octobre 1855, comme la soumission de l'atelier Gérente, pour une somme plus élevée de 709,54 fr. que la prévision annoncée sur le devis, tarif qui est justifié par le temps qui s’est passé depuis sa rédaction et par l’augmentation du coût de la main d’œuvre.
Pour examiner la soumission de Gérente, le ministre réclame en juillet au préfet les cartons produits pour l’exécution. La réponse de l’architecte le 17 septembre l’en dispense car « nulle invention n’a présidé à ce travail, qu’il ne s’agit que de la mise en plomb et du complément de vieux vitraux dans un tel état de délabrement qu’il ne serait possible d’en faire un dessin qu’après leur restauration ». Malgré le soin apporté à leur mise en caisse pour les transporter à Paris, le tri des fragments s’annonce suivant l'architecte long et délicat. En réalité, les documents refusés par l'architecte ont été réalisés dans l'atelier Gérente, indispensables pour l'exécution des panneaux actuels. Une partie de ces relevés à grandeur, aujourd'hui en mains privées et non localisés, sont connus par la photographie ; ils concernent la plupart des panneaux de la lancette droite. Les informations qu'ils contiennent ne sont pas rigoureusement les mêmes, mais pour la plupart des scènes où il y a remploi de pièces anciennes ces dernières sont signalées par un lavis. Les différences relevées entre calques et vitraux indiquent que ces documents sont des projets pour la restauration, mais pas des documents d'exécution. Ces relevés, associés à l'étude critique des panneaux montrent que l'intervention de l'atelier Gérente, certes drastique, respecte cependant ce qui a alors semblé apte a être conservé. La restauration a lieu après octobre 1855 ; les travaux sont soldés le 9 juin 1856 à leur achèvement. La verrière telle qu'elle a été recomposée rassemble des panneaux qu'il faut imaginer à l'origine disposés autrement et probablement répartis dans plusieurs baies de l'abside : il n'y a aucun rapport entre les anges de la lancette gauche et les scènes de la lancette droite ; ces dernières formaient au moins deux séries iconographiques, l'une consacrée à la vie du Christ, Enfance, Passion et vie glorieuse, l'autre à saint Michel, patron de l'église, dont il subsiste trois compositions, dont deux seulement contiennent quelques pièces originales. Les scènes de la vie du Christ elles-mêmes pouvaient être plus nombreuses. La restauration menée par l'atelier Gérente n'a pas pris en compte la présence de tirants métalliques qui barrent deux compositions (Ascension et saint Michel terrassant le démon).
Cinq scènes de la vie du Christ de Carcassonne ont leurs équivalents exacts dans un vitrail conservés dans un aujourd'hui au musée municipal de Sens (Yonne). D'origine inconnue, cette verrière, qui peut être datée du troisième quart du XIIIe siècle, est signalée dans le commerce en 1905 ; passée aux Etats-Unis, elle a été rendue à la France en 1954 par son propriétaire avec une origine senonaise annoncée (Saint-Pierre-le-Rond?), en réalité impossible à établir. Une copie du vitrail de Sens est présentée au Musée des monuments français.
Comment comprendre ces liens si étroits entre les deux séries de panneaux ?
Les scènes de Carcassonne pourraient être des copies réalisées par l'atelier Gérente des scènes aujourd’hui conservées à Sens, scènes qui pourraient avoir séjourné dans leur atelier. C’est l’hypothèse émise par Jean-Pierre Suau en 1973, à l'occasion du Congrès archéologique de France. Il faut aujourd’hui en partie l'écarter, dans la mesure où l'étude archéologique des vitraux de Saint-Michel de Carcassonne démontre l'authenticité d’importantes parties de scènes, également authentique dans les panneaux conservés à Sens. Ces observations permettent aussi d'écarter l'hypothèse de la fabrication de deux séries avec des pièces anciennes à partir d'une seule, dépecée.
En réalité, les vitraux de Carcassonne ont été réalisés d’après les cartons à grandeur déjà utilisés pour les vitraux de Sens, vraisemblablement antérieurs. Cette hypothèse peut aujourd’hui être confirmée. Ces cartons, la table de verriers, ou probablement sur toile, possédaient d’importantes informations pour la peinture, comme pour les couleurs, souvent reprises à l’identique et donc superposables, parfois remises au goût du jour.
Par ailleurs, la très grande proximité des parties des vitraux de Carcassonne restituées avec leurs équivalents senonais prouve, comme l'observait déjà Jean-Pierre Suau, qu'elles ont été réalisées d'après elles.
Alfred Gérente, en 1855-1856, disposait donc dans son atelier soit des panneaux aujourd'hui à Sens eux-mêmes, soit au moins de leurs relevés à grandeur très précis. Les inventaires de l'atelier Gérente en 1864 et en 1868 prouvent cependant que ces panneaux n'étaient plus alors dans l'atelier, ou au moins qu'ils n'appartenaient pas à la collection personnelle du peintre verrier ; ils étaient vraisemblablement déjà en circulation dans le marché de l'art.
A partir de 1857 Viollet-le-Duc succède à Léon Ohnet à la direction du chantier. Son objectif affiché à sa prise de fonctions, connu par le devis estimatif des « travaux de grosses réparations » rédigé le 1er février 1857, est de rendre rapidement l’édifice au culte et d’en faire quelque chose « d’approprié à sa destination », au regard de son aspect alors misérable. En réalité l'architecte entreprend la transformation en profondeur de l'édifice, entièrement uniformisé. Les travaux font disparaître toutes traces des modifications et transformations antérieures et rectifient la disposition des baies, auparavant « de toutes sortes ». Le devis de 1857 donne le contenu et montre l'ampleur des travaux. Il s'agit de reprendre, en les uniformisant, les 13 baies des chapelles « fermées de simples châssis en bois de sapin vermoulu ». Ferdinand de Guilhermy signale pourtant des éléments anciens de « vitrail mosaïque » dans le simple oculus qui éclairait la 3e chapelle nord. L'opération menée dans les chapelle est répétée pour les baies hautes de la nef qui elles aussi devront être « toutes semblables », soit ornées de roses : elles étaient auparavant soit à deux lancettes et tympan, soit en forme de simple oculus. Les nouvelles baies s'inspirent semble-t-il de celles de Saint-Vincent. Les peintures qui couvrent désormais entièrement murs et voûtes contribuent aussi à donner à l'intérieur de l'édifice une unité qu'elle n'avait pas auparavant. Toutes les nouvelles baies devront être vitrées de « grisailles compliquées ». Le même devis de 1857 prévoit aussi la reconstruction de la rose ouest. Bien que le détail des travaux nous échappe, il semble que la direction du renouvellement du vitrage reviennent à Louis Steinheil, dont la soumission du 18 février 1857 est conservée ; dès son arrivée sur le chantier, Viollet-le-Duc installe donc son équipe. La totalité de la restauration de l’édifice est achevée en 1869. Les grisailles décoratives d’après des dessins de Steinheil, semblent avoir été réalisées par Nicolas Coffetier (relevés MAPA) et achevés en 1861 pour la nef, en 1869 pour les baies des chapelles. Le même Steinheil a été chargé de la restauration du vitrail de la rose ouest. Le pignon et le remplage de la baie ont été refaits à neuf. Ces derniers travaux sont achevés en 1860.
Le vitrail de la baie d’axe est déposé à la fin de décembre 1939 par l’entreprise Gleizes de Carcassonne, puis transporté au monastère Sainte-Scholastique de Dougnes (Tarn). La repose de la verrière a lieu en septembre 1949, faite par l’entreprise Adrien Bonnery de Carcassonne. Il n’y a pas eu de restauration des panneaux, mais une simple remise en état : changement des plombs d’entourage, réparation des filets et pose de quelques plombs de casse par l’atelier Alexandre Guillac de Toulouse. En 1967 un grand rideau est dressé dans l'abside, masquant la moitié inférieure du vitrail, ce qui provoque une réaction dans la presse (Paris-presse l'Intransigeant, 11 avril 1967) avec un titre provocateur « Le concile n'a pas voulu ça ! ». En 1992-1993 des travaux de réparation sur les grisailles du XIXe siècle sont menés sous la direction de l'Architecte des bâtiments de France par l'atelier Élisabeth Brenas-Pech de Carcassonne. En 2010-2012 la reconstruction de la rose ouest conduit à la restauration de son vitrail, attribuée à l'atelier Vitrail Saint-Georges de Lyon : nettoyage, remise en plomb et mise en place d'une verrière de protection.
Né à Mulhouse. Conservateur en chef du patrimoine - Centre André Chastel (Laboratoire de recherche en Histoire de l'art - UMR 8150 du CNRS) Institut national d'histoire de l'art, 2, rue Vivienne.
Directeur du Comité français du Corpus vitrearum.
Vice-directeur de la Revue de l'art.
Docteur habilité à diriger des recherches (Université François Rabelais, Tours).