Mentions : 997 : domus Sancti Martini ; 1005 : Sanctus Martinus in monte Canigone ; 1031 : Sancti Martini coenobium in Kanigoni ; 12e siècle : S. Martini de Canigone ; 17e siècle : Sant Martí de Canigò [BASSEDA, Revue Terra Nostra, 1990, p.669].
1. L'abbaye du 10e au 19e siècles :
Les sources historiques comprises entre 997 et l’an Mil, font état d’un premier lieu de culte dédié à saint Martin de Tours [MALLET, 2003, p.215]. L’abbaye est véritablement fondée en 1005 par Guifred II, comte de Cerdagne et du Conflent, ainsi que son épouse Guisla, afin de loger une communauté de bénédictins. Guifred fut pour cela aidé de son frère Oliba (911-1046), abbé de Saint-Michel-de-Cuxa. Cette fondation est actée dans une charte du 14 juillet 1007, qui évoque également les donations reçues [MALLET, 2003, p.215]. De plus, la volonté de créer un lieu de culte respectueux de la règle de saint Benoît est clairement définie, comme l’atteste un parchemin conservé au notariat de Villefranche-de-Conflent. Guifred explique vouloir « édifier un monastère en l’honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ et de Saint-Martin, (et) y attacher des hommes militant sous la règle du Bienheureux Père Saint-Benoît pour y servir perpétuellement le Dieu Tout-Puissant » [DE CHABANNES, 1975, p.11].
La première partie de l’église est consacrée le 13 Novembre 1009 par l’évêque d’Elne Oliba de Besora, tandis que la seconde en 1026. L’acte de consécration de 1009 mentionne un certain Dom Sclua, qui fut l’architecte de Saint-Martin-du-Canigou. Ce dernier deviendra par la suite abbé de Saint-Martin, au côté de Guifred qui se fit moine en 1035 [DE CHABANNES, 1975, p.11]. Par ailleurs, c’est à cette date qu’est également consacrée la chapelle dédiée à saint Michel [DURLIAT, 1958, p.105].
Une dernière consécration a vraisemblablement été faite en 1014 ou 1026, période marquée par l'agrandissement de l'abbaye et la construction d'un premier cloître voûté [DE CHABANNES, 1975, p.p. 11 et 27].
Les origines de l’abbaye de Saint-Martin du Canigou sont étroitement liées à la légende de son fondateur, Guifred, comte de Cerdagne. Celle-ci s’est très certainement développée suite à la publication d’une bulle papale de Serge IV en faveur du monastère, qui indique la construction de l’édifice dès 1011 par le comte, afin d’expurger ses propres pêchés et ceux de ses ancêtres [Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa. Numéro 3, Juin 1972, p.107]. En voici la traduction partielle ; « Or, attendu que vous nous avez demandé, cher comte Guifred, la concession de l’église de Saint-Martin, afin d’y construire un monastère pour la rémission de vos péchés et ceux de vos parents, en cédant toutefois à cette sainte église une partie de vos domaines (…) » [Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa. Numéro 3, Juin 1972, p.107]. Ce type de formulation semble récurent dans les actes de fondations du 11e siècle et n’a semble-t-il pas de lien avec de quelconques pêchés commis par Guifred. Toutefois, la légende de Guifred s’est vraisemblablement appuyée sur ce document, comme l’atteste l’Histoire des rois d’Aragon et des comtes de Barcelone écrite en en 1438 par de Père Tomich, publié pour la première fois en 1495, sous le titre « Histories y Conquestes dels comtes de Barcelona y reis d’Arago » [Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa. Numéro 3, Juin 1972, p.103]. Selon Tomich, « Les Maures ayant envahi la Cerdagne, le comte Guifred confia le commandement de ses troupes à son neveu. Ce dernier qui engagea le combat avec les Maures sans l’ordre de son oncle, fut vaincu et s’enfuit vers le Barida. Le comte fondit sur ses ennemis, les mit en déroute et les poursuivit jusqu’au château appelé Sant Marti dels Castells. Etant entré dans l’église, il y trouva son neveu qui s’y était réfugié et qui tenait un Christ embrassé. Fou de colère, il le tua de ses propres mains, et à cause de ce meurtre, le pape lui ordonna d’édifier un monastère sous l’invocation de saint Martin » [Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa. Numéro 3, Juin 1972, p.103]. Aussi, la légende de Guifred apparaît au 13e siècle dans la chronique latine des Gesta Comitum Barcinonensium rédigée au monastère de Ripoll, attestant également de la construction de Saint-Martin du Canigou par le comte de Cerdagne [Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa. Numéro 3, Juin 1972, p.106].
Au sein même du monastère, Guifred creusa sa propre tombe ainsi que celles de ses deux épouses respectives, les Comtesses Guisla et Elisabeth. Cet évènement est relaté par l'abbé Miró dans une encyclique mortuaire, indiquant : Huius sacrato conduntur membra sepulcro Quod prius ipse sibi miro construxerat actu. Iulius exactam dum mensis clauderat horam excessit seculo quem poscite vivere Christo, (Traduit : « Dans ce tombeau sacré est enterré le corps de celui qui l'avait admirablement construit pour lui-même. Quand se termina la dernière heure du mois de juillet, pour laquelle il est demandé de vivre à travers le Christ ») [RAMOS I MARTÍNEZ, PUIGFERRAT I OLIVA, LÓPEZ I GUTIÉRREZ, 1995, p. 342]. Cette mention pourrait correspondre à celle qui se trouvait sur la dalle qui recouvrait à l'origine la tombe du comte. Par ailleurs, une autre pierre tombale retrouvée dans l'ancienne église du château de Vernet (Saint-Martin-le-Vieux ?) et actuellement conservée au palais des rois de Majorque, comporte une inscription en vers léoniens du 12e siècle, mentionnant les cendres de Guifred II. Peu de temps après la sécularisation du monastère en 1786, les tombeaux ont été déplacés à l'église paroissiale de Saint-Martin à Casteil [RAMOS I MARTÍNEZ, PUIGFERRAT I OLIVA, LÓPEZ I GUTIÉRREZ, 1995, p. 342].
L’abbaye décline après la mort de Guifred en 1049 ou 1050, et conduit Bernard Guillaume, comte de Cerdagne (1105-1117), à la donner à celle de Lagrasse (Aude) au 12e siècle. De vives oppositions se font ressentir entre les moines des deux communautés religieuses, notamment en 1159 avec l’élection d’un moine de l’abbaye de Sainte-Marie-de-Ripoll. A la demande des moines de Lagrasse, cet évènement est annulé par l’archevêque de Narbonne [DE CHABANNES, 1975, p.13]. Plusieurs pillages vont être faits au cours des siècles suivants, comme ce fut le cas au 14e siècle lors des conflits opposants l’Infant de Majorque et le roi d’Aragon.
Un important tremblement de terre survenu dans la région en 1428, vient ébranler le clocher, l’église et une partie des bâtiments monastiques [A.D.P.O. : 53J64]. Les travaux de réparations se révèlent infructueux, malgré l’investissement de l’évêque d’Elne dans la recherche de financements. Placée sous commende en 1506, l’abbaye est sécularisée en 1782 [DELATTRE, DELATTRE-ARNOULD, 2014, p.46]. Abandonnée par les moines peu de temps avant la révolution, l’abbaye décline et le bâti prend l’allure d’une ruine, pillée par les habitants qui l’utilise en tant que carrière de pierres. Les éléments sculptés (colonnes, chapiteaux, bases) d’un second cloître daté de la fin du 12e siècle et du 13e siècle et superposé à celui du 11e siècle, ont également disparu [DE CHABANNES, 1975, p.15]. De nombreuses lithographies produites par des érudits et architectes dans le courant du 19e siècle, rendent compte de l’état de ruine dans lequel se trouve alors l’abbaye. C’est le cas de Prosper de La Barrière (dit le Chevalier de Basterot), architecte du département des Pyrénées-Orientales durant la Restauration, qui réalise entre 1824 et 1825 une série de lithographie dans son « Voyage pittoresque dans le département des Pyrénées-Orientales dédié à la ville de Perpignan ». Au milieu des ruines, la tour du clocher est encore debout.
2. L'abbaye du 20e siècle à nos jours :
Un second souffle est donné à l’abbaye dans la première moitié du 20e siècle, avec sa reconstruction à l’initiative de Jules-Marie-Louis Carsalade du Pont, évêque de Perpignan entre 1902 et 1932 [MALLET, 2003, p.217]. L’église est réparée dans un premier temps, suivie de celle du clocher où quatre cloches ont été installées. Le clocher abrite six cloches, dont deux fondues en 1483 et quatre datées de 1904 [A.D.P.O. : 53J64]. Les plus récentes en bronze, ont été faites par la fonderie Jeanne d’Arc, Farnier-Bulteaux & Fils, à Mont-devant-Sassey (Meuse). Celles du 15e siècle sont ornées de sceaux, dont l’une porte un saint Martin.
C’est également au cours de cette étape de restauration que le cloître est reconstruit. Les chapiteaux et les colonnes de ce dernier dispersés à la révolution, ont été récupérés et placés dans un premier temps au rez-de-chaussée [DE CHABANNES, 1975, p.18].
Une seconde phase de restauration de l’abbaye est faite de 1952 à 1974, sous la conduite du Père Bernard de Chabannes, moine bénédictin de l’abbaye d’Encalcat (Tarn). Aidé de jeunes bénévoles et de l’expertise des architectes des monuments historiques, le Père fit construire trois étages à partir des anciennes fondations et reprendre le dallage en schiste des terrasses et du cloître ainsi que les toitures du monastère et de l’église. Les matériaux de reconstruction ont été apportés sur le site au moyen d’un téléphérique, dont le départ s’effectuait depuis la vallée du Cady [DE CHABANNES, 1975, p.18].
La communauté des Béatitudes, qui accueille actuellement les pèlerins et réalise des visites régulières pour les randonneurs et touristes, est installée sur le site depuis 1988 [DELATTRE, DELATTRE-ARNOULD, 2014, p.46]. Aussi, le bâtiment d’accueil situé à l’écart au nord de l’abbaye, a été construit entre 1971 et 1972, parallèlement à l’aménagement du Chemin de Saint-Martin pour le passage des véhicules [DE CHABANNES, 1975, p.23].
Guifré ou Wifredo ou Wilfred ou Guifred II de Cerdagne (vers 970-31 juillet 1049), Comte de Cerdagne puis de Berga.