Taurinya de l’Antiquité au 12e siècle
L’occupation du territoire de Taurinya est très ancienne, comme l’atteste la découverte de sites métallurgiques dans le courant du 20e siècle. Ceux identifiés au village sont marqués par la présence de scories de fer, qui sont des résidus de minerai traité dans les forges. La construction du lavoir situé en bordure du Chemin du Canigou (Camí del Canigó) et au Nord du village, a permis de mettre au jour un crassier de scories, dont les recherches archéologiques ont été menées vers 1997 par les archéologues François Roig et Véronique Izard [KOTARBA, CASTELLVI, MAZIERE, 2007, p.589]. En partie supérieure, le crassier semble avoir été formé de charbons de bois, mélangés à des fragments d’os et de céramiques. Ce mobilier découvert permet de dater la forge de l’Antiquité Tardive (4ième – 5ième siècle), même si l’activité du site semble plus ancienne. En effet, les vestiges situés plus au Sud et dans une profondeur plus importante, sont caractéristiques de l’époque romaine. Il s’agit de fragments de panses d’amphores de type Dressel 23, d’amphores africaines, d’une céramique fine de type Claire D et d’amphores espagnoles typiques du Bas-Empire. Au Sud du village et à proximité d’un moulin implanté sur la rive droite de la Lliterà, François Roig a mis au jour des scories de fer, des fragments d’amphores ainsi qu’un imposant fragment de vase, probablement daté de l’époque préhistorique [KOTARBA, CASTELLVI, MAZIERE, 2007, p.589].
Plusieurs lieux-dits localisés en moyenne montagne, présentent des vestiges d’exploitations métallurgiques romaines. L’une des plus importantes se trouve au lieu-dit Les Colomines (environ 690 m d’altitude), dont les fouilles ont été réalisées entre 1964 et 1966 par l’érudit Robert Lapassat [KOTARBA, CASTELLVI, MAZIERE, 2007, p.589]. Les céramiques sont en très grand nombre, notamment les fragments de sigillée sud-gauloise et d’amphores italiques. De plus, le site est marqué par la présence d’un alignement de quatre dalles verticales, qui pourraient correspondre à une sépulture. Par ailleurs, plusieurs tombes à simple coffre ont été mises au jour en 1964, à 100 m du lieu-dit. Enfin, un grand ferrier fut découvert dans les années 1980 au lieu-dit Els Meners (environ 800 m d’altitude), avec la présence de morceaux d’amphores. Sa partie haute a révélé la conservation d’éléments de la fin de l’Age du Fer et du début de la République Romaine, dont un tesson de céramique grise fine roussillonnaise [KOTARBA, CASTELLVI, MAZIERE, 2007, p.590].
La localité de Taurinya apparaît dans les textes aux 9e et 10e siècles, sous les dénominations « Taurinianum », « Torinianum » et « Tauriniano » [BASSEDA, Revue Terra Nostra, 1990, p.705]. Ces dernières trouvent leur origine étymologique à travers la fondation ibéro-romaine du territoire, dont le gentilice « Taurinius » renvoi à la figure du taureau. Par ailleurs, le blason « de gueules à un rencontre de taureau d’or », se retrouve sur un chapiteau sculpté du clocher-tour de Taurinya. En héraldique, « le rencontre » renvoi à une tête d’animal représentée de face, comme c’est le cas à Taurinya.
L’église paroissiale de Taurinya dédiée à Saint-Fructueux, est évoquée très tôt dans les sources historiques. Elle est en effet mentionnée entre 845 et 855, en tant que possession confirmée par le roi Lothaire, à l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.15]. Celle-ci est intimement liée à l’histoire de Taurinya, puisque les moines qui s’y sont établis possédaient de nombreuses terres sur le territoire. Le nom « Tauriniano » est indiqué en 846, 860 ainsi qu’en 874, dans des sources historiques relatives à des ventes de terrains situés sur le territoire, en faveur d’un certain Protasius [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.13]. Il s’agit d’un des moines survivants de la communauté de Saint-André d’Eixalada, emportée par une importante crue de la Têt (Aiguat) en Octobre 878 [PÀGES, PUBILL, 1996, p.126]. De nombreux biens terriens et bâtis de Protasius situés à Taurinya, furent donnés entre 864 et 865, au moment de son adhésion au sein de la communauté d’Eixalada. C’est le cas de 12 vignes, 6 jardins, 1 ferme et 4 maisons. Ainsi, le monastère possédait de nombreux biens à Taurinya, tel que le souligne un précepte du roi Charles le Chauve, daté de 871 [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.13]. Le rayonnement économique de Saint-Michel-de-Cuxa, nouvel établissement alors établi sur le territoire de Codalet, a conduit à la formation du domaine dit « Vall de Cuixà », parmi lequel se trouve le lieu de Taurinya. Ce domaine, était également constitué du hameau de Corts, mentionné en 860 et 879 (« Curtes »), ainsi qu’en 950 (« villa Cortis ») et 968 (« Curtis ») [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.125]. Le site aurait servi au 10e siècle d’ermitage pour Romuald (951-956) canonisé par la suite en 1595, accompagné de l’ermite Marin et du doge de Venise, Pierre Orseolo. Ce dernier est par ailleurs devenu moine de l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa dès 978, jusqu’à sa mort en 988 [Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Histoire [en ligne]].
Les limites géographiques de Taurinya sont connues dans les sources historiques datées des 10e et 11e siècles, telle que la Serra de Bovaria (Bohère) et le col de Clarà (Jovum de Clerano) développés à l’Est [BASSEDA, Revue Terra Nostra, 1990, p.705]. Il est également fait mention d’un sommet du nom de Flamidinum ou Montem Flamadius, qui correspondrait au roc Mosquit (Sud-Est du col de Clarà). L’éminence se rapporterait au martyr Saint Flamidien, vénéré à l’abbaye précédemment citée [BASSEDA, Revue Terra Nostra, 1990, p.706]. Les textes indiquent la limite Sud marquée par le Canigou, et la partie Ouest (Pogii Aquiloni), très certainement par le pic Joffre.
Le lieu de Llasseres, situé au Sud-Est du village de Taurinya, est mentionné pour la première fois en 950 (« monte Lavarias ») dans un alleu de l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa. Il apparaît ensuite en 968 puis en 1011 (« montem Lavarias ») [Association « Vall de Cuixà », 1994, p.3]. Cette dernière dénomination se rapporte à la présence d’un vaste plateau, qui conserve les vestiges d’une ancienne exploitation pastorale [BASSEDA, Revue Terra Nostra, 1990, p.706]. Par ailleurs, le toponyme Lavarias est dérivé du nom latin « lav », qui signifie ravin. En effet, le site est localisé au Sud du ravin de Lloeres, considéré comme étant le cours supérieur du Lliscó.
C’est également en 950 qu’est mentionnée l’église paroissiale Saint-Fructueux, dans un privilège du pape Agapet II daté de 950, qui la cite parmi les possessions du monastère de Cuxa [CAZES, 1977, p.23]. Pour autant, l’église primitive serait datée du 11e siècle selon l’abbé Cazes [Cazes, Revue Conflent, Numéro 47, 1968, p.3]. Des remaniements ont été réalisés au 12e siècle, dont la construction de la nef et du clocher-tour actuels. De plan carré et localisé au Nord de la nef, le clocher-tour dispose de trois niveaux maçonnés en pierre de taille et en moellons de pierres locales. Les ouvertures uniques du premier niveau sont en plein cintre et à double ébrasement. Des fenêtres géminées caractéristiques de l’art roman, sont situées aux deuxièmes et troisièmes étages. Celles-ci sont reliées par une colonnette octogonale, terminée par des chapiteaux à large imposte. L’un de ces chapiteaux est décoré de motifs végétaux à volutes et d’une tête de taureau sculptés. Au troisième niveau, la face Ouest comprend une fenêtre en plein cintre et la face Sud une meurtrière. Les autres faces ont des fenêtres géminées aux dimensions plus réduites que les précédentes, qui reposent sur des colonnettes cylindriques à chapiteaux lisses. La partie supérieure du clocher appareillée en moellons, comprend en face Ouest un cadran d’horloge, surmonté d’un clocher arcade quadrangulaire. L’accès à l’intérieur de l’église paroissiale s’effectue par un portail en arc brisé et pierre de taille en marbre (12e siècle ?). La nef est bordée de collatéraux et voûtée en berceau brisé. Un arc en plein cintre qui permet d’établir la communication entre la chapelle latérale Nord et le chœur, se distingue par ses piédroits, ornés de fresques datées du 12e siècle [POP. Église Saint-Fructueux. Base Mérimée. 1992]. Le piédroit Est se compose de la représentation d’un personnage nimbé portant une robe de couleur ocre jaune et pourpre. Les attributs que sont la roue et la palme de martyre, renvoient certainement à Sainte-Catherine d’Alexandrie [POP. Peinture monumentale : sainte Catherine d'Alexandrie. Base Palissy. 1992].
Si les traces de l’ancien hameau de Corts ont aujourd’hui disparu, la chapelle dédiée à Saint-Valentin est encore conservée. Sa construction en tant que telle remonte certainement au 12e siècle [Cazes, Revue Conflent, Numéro 47, 1968, p.11], comme l’atteste la présence d’une nef unique, terminée par une abside semi-circulaire. De plus, sa particularité est d’avoir été construite à partir des fondations d’une ancienne tour-signal, érigée au 11e siècle [SERRES, Revue Conflent, Numéro 149, Septembre-Octobre 1987, p.107]. Appelé tour de Corts ou de Ballessa, l’édifice communiquait avec les tours d’Arboussols (10 km) et de Llugols (5 km), ainsi qu’avec les châteaux de Ria (3 km), Sirach (3 km), Pomers (3 km), Coma (9 km) et Molitg (7 km) [DE POUS, Revue Conflent, Numéro 106, 1981, p.49]. La tour pouvait également voir et être vue des églises ou chapelles de Campelles, Santa Margarida, Belloch, Fornols, Santa Creu, Calahons et Cuxa.
Taurinya du 14e siècle au 18e siècle
L’église Saint-Fructueux apparaît de nouveau dans les sources historiques, au cours du 14e siècle. Un certain Raymond Guanter, de Taurinya, évoque dans son testament de 1348, le « lègue (de) 5 sous pour aider à la fabrication d’une cloche pour l’église de Taurinyà » [Cazes, Revue Conflent, Numéro 47, 1968, p.3]. C’est à cette époque que la chapelle Saint-Valentin de Corts aurait été surélevée, afin de lui conférer un aspect fortifié. En effet, la chapelle repose sur la roche existante, sur laquelle fut aménagée une plateforme, renforçant ainsi l’ensemble de l’édifice. Ce remaniement est à replacer dans le contexte historique du village de Taurinya, puisqu’il est mentionné en 1331 en tant que castrum [Cazes, Albert. Revue Conflent. Taurinya. Numéro 47. 1968, p.11].
Les premières données concernant la population de Taurinya sont connues dès le 14e siècle, comme l’atteste l’analyse des fogatges, anciens impôts sur le revenu foncier répartis selon les foyers d’habitations. Ainsi, 23 feux sont comptabilisés en 1358 et 25 feux entre 1365 et 1370 [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.13 et p.15]. Le nombre de feux diminue par la suite, probablement en raison des épisodes de pestes (11 feux en 1378 et 1385) [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, pp.20 et 23]. Au 15e siècle, la décroissance démographique est également importante, notamment entre 1470 et 1490 avec 9 feux. La période suivante est marquée par des variations conséquentes de la population, avec 11 feux en 1515 et 7 feux en 1553 [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.29 et p.32]. A cette époque, le culte de Saint-Vincent, patron des vignerons, est très présent sur le territoire. En effet, des processions étaient organisées en son honneur, notamment à partir de Prades entre les 16e et 17e siècles [Cazes, Revue Conflent, Numéro 47, 1968, p.16].
Au 18e siècle, le nombre de feux augmente significativement, notamment entre 1720 et 1740, où 39 feux sont dénombrés (environ 170 habitants) [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.38 et p.43]. En 1752, 135 habitants vivent à Taurinya, dont 40 hommes mariés, 20 veuves et 12 veufs [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.21]. Après une diminution progressive de la population entre 1770 et 1772 (160 habitants) [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.46], le nombre d’habitants est en hausse à la fin du siècle, avec 284 habitants en 1787 et 499 habitants au cours de la période révolutionnaire (1792-1793) [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.48 et p.51]. Par ailleurs, le village se dote très certainement à cette époque d’un presbytère, qui a notamment servi à accueillir les séances du Conseil Municipal en 1790 [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.39].
Dans la seconde moitié du 18e siècle, l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa reste souveraine de Taurinya, comme l’atteste les différents impôts perçus auprès du travail des habitants. Ainsi, 30 livres ont été obtenus en 1769 par le camérier du monastère, grâce à l’affermage de la dixme du lin, ainsi que de la dixme du chanvre [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.21]. De plus, des revenus agricoles pouvaient être touchés par les moines de l’abbaye. Ce fut le cas en 1773, où l’aumônier bénéficia de 50% de terres, possédées à moitié avec un habitant de Taurinya du nom d’Isidore Nicolau [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.22]. L’autorité de l’abbé est également exercée sur le batlle (maire en catalan) du village, dont les archives locales permettent de connaître certains d’entre eux au 18e siècle. Parmi ceux-ci, il est possible de citer Pere Sensabi (1759), Felip (1762), Josep Sensavy (1763-1768-1772), Jaume Colom (1767) et Joan Felip (1774) [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.22]. Le battle était chargé de l’administration et de la police du domaine ecclésiastique de Saint-Michel-de-Cuxa. Malgré le pouvoir qu’il pouvait exercer au sein de son village, le battle n’avait pas la mainmise sur la réglementation des coupes en forêts. Celles-ci appartenaient en effet au domaine de l’abbaye, jusqu’à leur gestion domaniale par l’Etat dès 1793 [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.24]. A cette époque, le bois constituait une ressource économique non négligeable, puisqu’il était utilisé pour le fonctionnement des charbonnières et forges catalanes, actives dans la vallée. Jusque dans la première moitié du 20e siècle, le village vit en autonomie, avec une économie tournée vers l’autoconsommation.
Au 18e siècle, les principales activités sont liées à l’agriculture, l’élevage du bétail ainsi que des animaux de basse-cour. L’agriculture vivrière est la plus représentative, avec la culture des céréales, de la vigne, du lin et du chanvre pour la fabrication du tissu destiné à l’habillement ou encore de semelles à chaussures [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.22]. Les oliviers sont également présents, comme l’indique un texte historique de 1741, qui mentionne la plantation de deux journaux d’olivettes. Par ailleurs, le village comprenait plusieurs tisserands issus de la même famille, dont Anton Banasach (1714) et Josep Banasach (1717). Enfin, le 18e siècle est marqué par des épisodes de fortes pluies, qui ont ravagé les cultures, dont les vignes et les champs de blé. Les plus importantes crues ont été enregistrées entre les 16 et 17 Octobre 1763, entraînant ainsi le débordement de la Llitera.
Taurinya du 19e siècle à nos jours
L’histoire de Taurinya est étroitement liée au développement de l’industrie métallurgique, comme en témoigne la présence de sites miniers exploités depuis l’Antiquité. Celui de la chapelle de Corts apparaît en tant qu’exploitation minière, dans des textes datés du 19e siècle. Des travaux de recherche à ciel ouvert ont en effet été entrepris dès 1861, par le directeur de la concession de Fillols, du nom de Rémy Jacomy. Plusieurs affleurements de minerai ont ainsi été découverts. Ces recherches seront perturbées par un accident survenu en 1866, causant la mort de deux ouvriers [Cazes, Revue Conflent, Numéro 47, 1968, p.16]. Entre 1876 et 1883, la Société métallurgique des Pyrénées-Orientales, entreprend des travaux supplémentaires. A nouveau exploité en 1939, le site minier cesse toute activité en 1940 en raison de l’Aiguat du mois d’Octobre, qui a entrainé la destruction des installations. Les mines de fer de Fillols et Taurinya sont au début du siècle à l’état d’abandon, comme l’atteste un rapport réalisé par l’ingénieur des Chefs des mines à Carcassonne en 1807, adressé à M. le général de brigade, Préfet du département des Pyrénées-Orientales [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.23]. Parallèlement à ce déclin, la population diminue progressivement dans la première moitié du siècle. En effet, 441 habitants sont recensés en 1851, contre 454 en 1836 et 461 en 1846 [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.79].
La seconde moitié du 19e siècle est marquée par une nouvelle dynamique industrielle et les villages de la vallée de la Llitera attirent de nouveaux travailleurs, spécialisés dans l’activité minière. Parmi eux se trouvent des forgerons (fargaires), des transporteurs (traginers), des miniers ainsi que des forestiers [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.32]. La population de Taurinya enregistrée jusqu’à la fin du siècle est alors en hausse, avec 430 habitants en 1861, 563 en 1877 et 502 en 1891 [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.79].
Jusqu’à l’aménagement de la nouvelle route de Prades à Taurinya au début du 20e siècle, le transport du minerai s’effectuait sur l’unique chemin vicinal (actuelles rues del Balc et d’Avall). Relativement étroit, ce dernier a la particularité de surplomber le précipice, ce qui entraîna plusieurs incidents de parcours. Ce fut le cas entre 1880 et 1890, où une charrette chargée de minerai se renversa et tomba dans le ravin [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.35]. Au cours de ce siècle, plusieurs remaniements ont été réalisés dans l’église paroissiale Saint-Fructueux, notamment son agrandissement. Souhaités par le Conseil Municipal de Taurinya en 1839, les travaux devaient permettre de faire face à l’accroissement de la population locale [A.D.P.O., 4 V47]. Afin de réaliser ces travaux, un secours de 1000 francs fut octroyé à la commune. Les transformations ont concerné le remplacement de l’abside d’origine, par un chevet plat [CCRP, Taurinya, Église paroissiale Saint-Fructueux, 2005]. De plus, la nef est élargie en 1874 par un bas-côté méridional, délimités entre eux par un arceau de brique. Ce bas-côté apparaît sur un plan de l’église paroissiale daté du 9 Mai 1839, réalisé par l’architecte du département nommé Charles de Basterot [A.D.P.O., 4 V47].
L’augmentation de la population au cours du siècle et la promulgation des lois scolaires de 1881 et 1882 adoptées par Jules Ferry, amènent la commune de Taurinya à se doter d’un premier établissement scolaire. Une première école de garçons est ainsi établie dans les années 1882 [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.38]. En 1888, une école de filles est ouverte par deux religieuses de Taurinya, Marie Albert et Marie-Julie Delcausse, alors âgées de 30 et 36 ans [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.39]. L’enseignement, porte essentiellement sur les tâches courantes de la vie quotidienne. Cette école occupait une maison du village, qui appartient depuis le 20e siècle à la famille Fourquet. Elle ferma ses portes en 1905, à la suite de l’adoption de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.39]. Face à l’étroitesse des locaux, l’école de garçons est transférée dans un nouvel établissement, également prévu pour accueillir les filles. Les travaux, effectués entre 1893 et 1899, ont été confiés à l’entrepreneur Bonnerie, à partir des plans d’un architecte nommé Baixes [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.39]. Actuellement, l’édifice garde sa fonction d’établissement scolaire (école maternelle et élémentaire) et comprend les locaux de la Mairie. Son style académique est visible à travers l’ordonnancement des baies en façade principale (Ouest) et la présence d’un fronton triangulaire à corniche moulurée.
Le presbytère de Taurinya est à nouveau mentionné dans les sources historiques au 19e siècle. Son mauvais état de conservation est tel que des réparations en urgences doivent être menées [A.D.P.O., 4V47]. Les travaux à effectuer sont reportés sur un devis estimatif, réalisé le 16 Janvier 1829 par le charpentier Vincent Dento et le maçon François Nuixe [A.D.P.O., 4V47]. En 1831, l’État accorde ainsi une subvention pour l’exécution des travaux [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p.40]. Il est actuellement complexe de connaître l’emplacement exact du presbytère, qui pourrait correspondre au bâtiment de l’école catholique de filles ou encore de l’actuel gîte situé en contrebas de l’église (N°1 Rue Sant Valentí).
Le site minier du Salver s’est principalement développé entre la fin du 19e siècle et le 20e siècle, en deux périodes qui se distinguent nettement (1879-1928 et 1958-1962). C’est la société anonyme des mines de Fillols qui se chargea de réaliser dès 1879 les premiers aménagements, dont un plan incliné, fonctionnant à partir d’un système de freins et de rails. Il était employé pour descendre le minerai du carreau de la mine (niveau 740), jusqu’au chemin de traînage mécanique (niveau 645) [Panneau signalétique patrimonial, Site minier du Salver, Taurinya, Le plan incliné, 2018]. Ce dernier, comprenait deux voies Decauville parallèles, positionnées le long du ravin de Vall Panera sur environ 8 km [Syndicat Mixte Canigó Grand Site]. De plus, il permettait l’évacuation du minerai extrait au Salver dans des wagons, déchargé dans des trémies localisées non loin du village. Le minerai était ensuite transporté jusqu’à la gare de Prades puis prenait la direction des forges du Gard et du bassin de la Loire [Syndicat Mixte Canigó Grand Site]. Le traînage mécanique fonctionna jusqu’en 1928, année de fermeture temporaire de l’exploitation du Salver, notamment en raison d’une meilleure rentabilité du transport du minerai depuis Fillols [Panneau signalétique patrimonial, Site minier du Salver, Taurinya, Le traînage mécanique, 2018].
La concession de Taurinya réouvre en 1958, à la suite de travaux menés par la Société Denain-Anzin (1952). Elle est reprise par la Société anonyme des mines de fer de Fillols, dont la principale mine de la commune a été démantelée [Panneau signalétique patrimonial, Site minier du Salver, Taurinya, Le traînage mécanique, 2018]. Les années 1958-1963 sont marquées par un important développement du site, notamment avec l’aménagement de deux voies de roulement, à l’entrée de la mine se situant au niveau 703 [Panneau signalétique patrimonial, Site minier du Salver, Taurinya, Une exploitation millénaire, 2018]. Ces voies permettaient de transporter le minerai jusqu’aux trémies, localisées en bordure de route. De là, le minerai était acheminé par camions vers la gare de Prades ou en direction des fours de Corneilla-de-Conflent, afin d’être expédié vers le Massif Central et la vallée du Rhône [Syndicat Mixte Canigó Grand Site]. En 1963, l’exploitation débutait au niveau 742 et s’arrêtait au niveau 721. Une fois extrait, le minerai était chargé dans des berlines de 500 litres, amenées en sortie de mine par un locotracteur Diesel sur une voie de rail [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, pp.41-42]. Ces berlines prenaient ensuite la direction d’un culbuteur, afin de renverser le minerai dans des tublings (glissières) puis dans les trémies en fer. Celle localisée non loin des gîtes communaux, est plus récente que la précédente décrite. Le minerai était chargé dans des camions semi-remorque à l’aide des orifices vannés encore présents sur la trémie, puis transporté vers la gare de Ria ou les Mines de la Têt à Sahorre [CATHALA-PRADAL, CHRISTOFOL, NICOLAU, 1999, p. 42]. Ernest Calluyere (1925-2004) fut au cours de ces années le directeur d’exploitation de la mine du Salver, pour la « Société des Mines de Fillols » [Revue Le fil du Fer, Numéro 18, 2016, p.41]. L’activité minière à Taurinya cessa par la suite, quelques années suivants la fermeture des hauts-fourneaux de Ria en 1930 [IZARD, Archéologie du Midi Médiéval [en ligne], Tome 12, 1994, p.124]. A la fin des années 1990, l’association Vall de Cuixà a mené la valorisation du site minier, en organisant des chantiers participatifs avec l’association El Mener de Sahorre et les habitants de Taurinya. De plus, les années 2000 sont marquées par la création du sentier des mines ainsi que par l’instauration d’une signalétique patrimoniale, permettant d’apprécier le parcours de l’ancienne exploitation minière. L’hébergement des visiteurs a également été pensé, à travers l’aménagement des gîtes communaux « El Passatje », « El Reposadou » et la « Farga », situés non loin des bâtiments industriels [Revue Le fil du Fer, Numéro 19, 2017, pp. 41-45]. Par ailleurs, la mémoire des anciens mineurs est conservée grâce aux témoignages recueillis auprès de paysans-mineurs de Taurinya, tel que Jeannot Christophol (1919-2007), qui a travaillé au Salver de 1949 à 1963 [Revue Le fil du Fer, Numéro 18, 2016, pp.18-20]. Ce dernier témoigne des conditions difficiles à la mine ainsi que des modes de vie des habitants. Tandis que les hommes s’attelaient sur le site, les femmes restaient au village pour s’occuper des tâches quotidiennes.
Tout au long du 20e siècle, la démographie de Taurinya ne cesse de diminuer, malgré un important développement du secteur minier. Jusqu’en 1921, la population fluctue entre 500 et 300 habitants (505 en 1906, 492 en 1911 et 356 en 1921) [BATLLE, GUAL, Revue Terra Nostra, Numéro 11, 1973, p.48 et p.79]. L’arrêt momentané de l’exploitation minière du Salver entre 1928 et 1958, a nettement contribué à la baisse démographique, avec 260 habitants en 1931, 242 en 1936, 248 en 1946 et 235 en 1954. Pour autant, la fin du 20e siècle est marquée par une hausse progressive de la population, qui ne cesse de s’accroître dans les années 2000. En effet, 307 habitants sont recensés en 1999, contre 242 en 1968 [Insee, Portrait démographie et conditions de vie – Évolution et structure de la population, Taurinya, [en ligne]]. L’installation de jeunes ménages avec ou sans enfants au cours des années suivantes, se répercute dans les chiffres, comme c’est le cas en 2012 (329 habitants), en 2017 (336 habitants) et dernièrement en 2020 (347 habitants). De plus, une nette tendance au rajeunissement est observée à Taurinya, notamment en 2017 avec seulement 9,2% des 75 ans ou plus, 17,3% des 60 à 74 ans, 24,7% des 45 à 59 ans, 19,6% des 30 à 44 ans, 18,2% des 0 à 14 ans et 11% des 15 à 29 ans [Insee, Portrait démographie et conditions de vie, Taurinya, [en ligne], 2017]. Enfin, la part des ménages étudiée en 2017 selon la catégorie socioprofessionnelle des habitants, montre un taux important de professions intermédiaires (24,6%), contrairement à celui des employés (10,5%), des artisans et chefs d’entreprise (8,8%), des ouvriers ainsi des agriculteurs exploitants (5,3%). Par ailleurs, le pourcentage de retraités (28,1%) reste élevé par rapport à celui des actifs [Insee, Portrait démographie et conditions de vie – Couples-Ménages-Familles, Taurinya, [en ligne], 2017].