Daté du XVe siècle, à Capestang, le plafond peint du château des archevêques de Narbonne, s’il est connu des initiés depuis longtemps, n’est accessible au public depuis seulement quelques années. Un centre d’interprétation permet de comprendre le contexte historique qui a permis l’élaboration de ce programme iconographique aussi subtil que merveilleux, pourtant situé dans un « simple » lieu de villégiature, non pas dans le siège archiépiscopal, mais dans une petite ville active dont l’archevêque était le seul seigneur .
D’un plafond peint dans un village languedocien…
2 En 1956, l’abbé Giry avait publié une première étude sur « La salle haute du château de Capestang (...)
3 La restauration de la façade sud du château de Capestang (www.culture.gouv.fr/content/download/4592(...)
3Depuis la fin des années 1970, un très petit nombre de personnes connaissait l’existence de ce plafond de Capestang2. Il avait eu son heure de célébrité au xixe siècle, dont témoignent les relevés du grand architecte Revoil, restaurateur, entre autres, du Palais des papes. Il fut inscrit à l’Inventaire en 1956, classé monument historique en 1981, mais pour les habitants du village, il était principalement le Foyer rural. On identifiait à peine le château qui l’hébergeait comme ayant appartenu aux archevêques de Narbonne. L’un des murs d’enceinte du château avait disparu sous le ciment du « marché couvert », d’où émergeait une tour que l’appareil et les meurtrières dataient du xiiie siècle. Qu’était cette salle obscure, presque inaccessible depuis que l’escalier, qui avait été un beau gradin de pierre dans la cour, en avait été récemment démonté ? La façade médiévale avait eu, sans nul doute, belle figure avec ses hauts arcs à mâchicoulis, avant d’être rongée par les injures du temps et du vent marin3. Elle se prolongeait inexplicablement dans une longue et riche bâtisse du xixe siècle. Et il y avait quelque chose d’anormal à la jonction des deux façades (fig. 2).
Fig. 2 : Façade méridionale du château des archevêques de Narbonne à Capestang (Hérault)
Photo Marc Kérignard. © Service connaissance inventaire du patrimoine région Occitanie
4En effet, la maison bourgeoise avait englobé deux travées de la salle d’apparat des archevêques. Une acrobatique reptation par-dessus deux faux plafonds permit de découvrir deux nouvelles poutres et leurs closoirs rutilants. Tout était à comprendre, non seulement dans ce décor dont la somptuosité passée était évidente, mais dans l’histoire du bâtiment et de cette vaste salle devenue grenier. Une poutre du plafond portait les armes de l’archevêque Jean d’Harcourt : on pouvait donc le dater du milieu du xve siècle. Mais les armes de l’archevêque Bernard de Fargues sur le décor des murs, en alternance avec les armes de France, renvoyaient à la première moitié du xive siècle et révélait que la salle avait été d’abord une immense aula sur arcs diaphragme, avant que Jean d’Harcourt ne la fît découper en trois salles, dont une salle d’apparat, et couvrir d’un plafond plan et peint (fig. 3).
Fig. 3 : Vue d’ensemble de la charpente du château des archevêques de Narbonne à Capestang (Hérault),
Photo Georges Puchal. © RCPPM
4 Philippe Bernardi, « Décor et support : quelques éléments de terminologie relatifs aux charpentes (...)
5Une nouvelle équipe municipale élue en 2001 prit les choses en main, avec l’aide de la DRAC, du conseil général de l’Hérault et de l’Europe. Une minutieuse étude d’archéologie monumentale permit de comprendre les étapes de la construction de cet ensemble complexe qui s’ordonnait en une vaste enceinte à tours circulaires. Puis celle des mauvais traitements qu’il subit et auxquels le plafond de Jean d’Harcourt résista, même si l’espace qu’il couvrait fut transformé et malmené. Impossible de ne pas faire partager au public les rouges somptueux, le dessin délicat des volutes végétales et des rubans colorés ni les saynètes que portaient les planchettes glissées entre les solives, planchettes qu’on savait à peine nommer : métopes, parédals, ais d’entrevous, bugets ? Au risque de blesser les oreilles méridionales, Philippe Bernardi, rappelant leur fonction structurelle autant que décorative, demanda qu’on s’accordât désormais à les désigner comme des « closoirs4 ».
6Le plafond du château des archevêques eut désormais sa vie propre au rythme des visites. Un centre d’interprétation attenant au château a l’ambition de faire comprendre, dans un mouvement de zoom, que les archevêques de Narbonne étaient de richissimes prélats, que Capestang avait été une ville médiévale prospère, que les archevêques avaient, les uns après les autres, contribué à édifier le château, avant qu’il ne rétrécisse au fil des évolutions de l’histoire et du changement des manières de vivre de l’élite. Des visiteurs venus de pays lointains témoignent sur le livre d’or de leur surprise et de leur fascination. Et la « Légende de l’étang », un son et lumière projeté tout l’été sur le mur de la collégiale à un public massé sur la grande place du village, transforme pour tout un chacun ce décor en un conte.