Texte de Jean Nougaret dans le Guide du patrimoine de Languedoc-Roussillon
Le portail
Le portail est le plus vaste ensemble sculpté de l'époque romane en Languedoc-Roussillon, le plus original aussi par la richesse de son programme iconographique et la double influence antique dont il témoigne : celle, perceptible dans l'ordonnance générale, des monuments romains de la région et, dans le décor, la tradition artistique des sarcophages paléochrétiens d'Arles, du 4e s. et du 5e s. Les recherches les plus récentes montrent que le projet mis en œuvre vers 1140 prévoyait un portail à trois portes et douze statues d'apôtres, inspiré par les dispositifs scéniques des théâtres romains. Un porche reposant sur de minces colonnes jumelles – usage fréquent en Italie et en Provence – devait abriter la porte centrale. Cette composition a été enrichie en cours d'exécution par l'adjonction de grandes colonnes antiques remployées, dont l'inégalité de hauteur fut rachetée par la mise en place d'un nouveau soubassement et de lions stylophores. D'autre part, le développement considérable du programme iconographique entraîna, vers 1145, la création de la frise consacrée à la Passion du Christ.Ce programme est destiné à affirmer les dogmes de la foi face aux hérésies qui agitaient alors le Languedoc, avant même le catharisme, en particulier celle de Pierre de Bruys, brûlé en 1136 devant l'église, propagée ensuite par ses disciples. Les petrobrusiens professaient le refus de construire des églises, le rejet de tout rappel de la mort du Christ, qu'ils jugeaient ignominieuse, des sacrements, des prières pour les défunts, des aumônes, de la vénération des reliques. L'accent est donc volontairement porté sur les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption, au travers du récit complet et détaillé de la Passion sur la frise, les tympans et les linteaux, les scènes de l'Ancien Testament étant développées sur le soubassement.Entre 1140 et 1160, le chantier occupe successivement plusieurs sculpteurs, à commencer par Brunus, au style antiquisant, auteur de cinq des statues d'apôtres (Matthieu, Barthélemy, Paul, Jean et Jacques le Majeur) dont deux sont signées « Brunus me fecit ».Le Maître de saint Thomas, son contemporain, sans doute venu d'un chantier du sud-ouest, lui succède. On lui attribue trois statues (Thomas, Jacques le Mineur, Pierre) et les bas-reliefs de la porte centrale (Offrande d'Abel et Caïn, Meurtre d'Abel). Trois autres sculpteurs ont également participé à l'entreprise. Au Maître de l'Adoration des Mages (appellation créée ici de toute pièce pour éviter le « soft master » par laquelle les études anglo-saxonnes désignent ce maître au modelé délicat), marqué par un retour à la plastique romaine, on attribue deux statues d'apôtres, le tympan de la porte gauche (Adoration des Mages), son linteau et ses ébrasements (Préparatifs de l'entrée du Christ à Jérusalem) ainsi que l'ébrasement gauche de la porte centrale (Prophétie du reniement de saint Pierre). Le Maître de la Crucifixion (appellation que nous substituons au « hard master », ainsi nommé parce que sa manière est plus dure) aurait traité deux statues d'apôtres non identifiées, la crucifixion du tympan de la porte droite et la Résurrection du linteau. Enfin, la statue de saint Michel, d'une exceptionnelle qualité, a fait donner à son auteur, un sculpteur peut-être formé directement sur le chantier de Saint-Gilles, le nom de Maître de saint Michel, à qui l'on doit aussi la majeure partie de la frise et des ébrasements. Le tympan de la porte centrale (Christ en majesté avec le Tétramorphe) a été refait au 17e s. Une restauration générale de la façade a été entreprise entre 1842 et 1868, avec la construction du grand emmarchement.Témoin de la renaissance antiquisante dans l'art roman du midi de la France, la sculpture de Saint-Gilles a exercé un incontestable rayonnement sur les grands chantiers méridionaux de la seconde moitié du 12e s. : Saint-Trophime d'Arles pour la composition du portail, Notre-Dame-des-Pommiers de Beaucaire pour la frise, Saint-Bernard de Romans (Drôme) pour le portail, Saint-Guilhem-le-Désert pour le cloître, ancienne église Notre-Dame-des-Tables de Montpellier (disparue) pour la façade.