HISTORIQUE
Les seigneurs de Puissalicon, du 12e siècle à la Révolution
Plusieurs seigneurs portant le nom de Puissalicon sont mentionnés aux XIe et XIIe siècles : Raymond Pons à la fin du XIe siècle, Pierre en 1114, Imbert de Puissalicon en 1149, Pierre Déodat de Puissalicon entre 1164 et 1176, Bernard en 1199, Guillaume en 1210 et 1228, un autre Pierre en 1247 et enfin un autre Imbert entre 1248 et 12611.
Dans le troisième quart du XIIIe siècle, la seigneurie entre dans les mains de la puissante famille de Boussagues par suite du mariage de Garsinde, fille d’Imbert, avec Aymeri de Boussagues2. A partir de cette date, le château n'est plus habité que de façon épisodique par des familles qui ne voient en Puissalicon qu'une seigneurie secondaire de leur patrimoine nobiliaire.
Au bas Moyen Âge, la seigneurie passe des mains d’Aymeri de Boussagues à son fils Guillaume, à son petit-fils Déodat puis à son arrière-petit-fils Pierre3. La mort de ce dernier en 1348, sans enfants, complique la succession4. L’héritage de Pierre de Boussagues est finalement partagé en deux parties par acte du 12 avril 1368 : le fief de Boussagues revint à Marquèze de Vailhauquès tandis que Josionde de Sauveterre reste en possession des terres de Puissalicon. Quelques semaines plus tard, le 22 mai 1368, Nicolas de la Jugie acquiert la baronnie de Puissalicon5. L’acte rapporte la vente du fortalicium avec tous les édifices, tours et défenses qui en dépendent, toutes les juridictions et tous les biens meubles et immeubles que Josionde possède dans le districtus de Puissalicon pour la somme de 5920 francs. Il est ensuite reconnu qu'outre ces biens, Josionde ratifie la vente d'un hospicium contigu au fortalicium du lieu pour le prix de 40 francs. Nicolas de la Jugie meurt sans postérité en 1374, sa sœur Hélix de la Jugie hérite de tous ses biens, dont la seigneurie de Puissalicon6.
La parenthèse de la Jugie est de courte durée, puisque Josionde de Sauveterre réapparaît dans les archives communales dès 13847. Celle-ci épouse en secondes noces Nicolas de Lettes, dans la famille duquel elle apporte la seigneurie de Puissalicon. Leur descendant Antoine de Lettes épouse le 6 décembre 1488 Blanche des Prez de Montpezat, issue d’une puissante famille originaire du Quercy. De leur union naîtra Jean de Lettes, évêque de Béziers, et Antoine de Lettes – qui prendra le nom et les armes de la famille de sa mère en 1539 suite à la mort de son oncle Jean des Prez de Montpezat - nommé Lieutenant général du Languedoc en 1542 puis Maréchal de France en 1543.
En 1572, Melchior de Montpezat vend les seigneuries de Puissalicon et de Paraza à François Ier de Rogier, baron de Ferrals, pour la somme de 55 000 livres8. La famille de Rogier s’allie à la famille de Gauléjac suite au mariage en 1627 de Jeanne de Rogier et Jean-Marc II de Gaulejac9. Les droits de justice sont revendus par Antoine de Rogier en 1642, puis rachetés par madame de Gauléjac en 177710. La seigneurie reste dans le giron de la famille de Gaulejac jusqu’à la Révolution. Leurs descendants sont encore aujourd’hui propriétaires du château haut de Puissalicon.
Le château défensif (11e-15e siècle)
Le château primitif est probablement construit au 11e siècle ou au 12e siècle par les seigneurs portant le nom de Puissalicon. Il ne reste rien de ce premier édifice, dont on ignore à peu près tout de la disposition, hormis peut-être la chapelle castrale à l’est de l’ensemble. L'entrée principale, initialement au sud, a été obstruée par la construction de l'église paroissiale en 1337, qui a probablement également amputé une partie du choeur de la chapelle castrale. Le château est sans doute renforcé par la famille Boussagues avec la construction des deux tours rondes, dont la base à bossages témoigne d’une construction de la fin du 13e ou du début du 14e siècle.
Vue aérienne oblique, le château, la chapelle castrale et l'église paroissiale.Base à bossages de la tour sud, détail.
Le corps de bâtiment triangulaire occupant l’angle sud-ouest, construit en moyen appareil de pierre de taille, pourrait quant à lui dater du 14e siècle. Le rez-de-chaussée accueille un passage couvert accessible par une arcade brisée chanfreinée communiquant avec l’entrée sud du château, remaniée au 17e siècle (porte en plein cintre couronnée d’un fronton). Il est jouxté par un corps de bâtiment rectangulaire dont les murs pignons présentent un appareil similaire au précédent. La maçonnerie des murs gouttereaux est en revanche constituée de moellons à peine équarris. Les élévations situées sur le pourtour extérieur du château sont quasiment aveugles, à l’opposé de l’élévation sur cour percée au rez-de-chaussée de grandes arcades et à l’étage de fenêtres à meneau du 15e siècle.
Ailes ouest, élévations sur cour, arcade donnant accès au passage couvert de l'entrée sud.Elévations sur cour.
La résidence d’Antoine de Lettes de Montpezat (2e quart 16e siècle)
Le château de Puissalicon est modernisé sous l’impulsion d’Antoine de Lettes de Montpezat (1490-1544), qui hérite des seigneuries de Puissalicon et de Paraza en 1521. En 1525, il est fait prisonnier en même temps que François Ier à la bataille de Pavie et devient son valet de chambre. Il gagne sa confiance à cette occasion, ce qui lui vaudra d’être nommé lieutenant général du Languedoc puis maréchal de France.
En 1543, il entreprend de transformer son château de Puissalicon. Le 24 février, il passe contrat avec Jean Banes, maître maçon de Narbonne11. Nous n’avons à ce jour que peu d’éléments sur la carrière de ce maître d’œuvre, tout au plus pouvons-nous indiquer qu’il contracte un bail pour des réparations à la maison de Bethléem à Narbonne le 2 mars 1547 et qu’il apparaît en tant que témoin dans le bail des réparations du château de Creissan le 27 septembre 155012. Il pourrait être un descendant de Jehan de Banes, maçon Montpelliérain cité en 1479 comme apprenti de Pierre Borgonhon13. Le prix-fait détaille les différents travaux à exécuter. Le bâtiment projeté, en partie élevé contre le rocher, s’élève sur deux étages ; des tours sont également mentionnées. Les fenêtres doivent être faites « à l’antique », de moulures pleines, avec colonnes, piédestal, architrave, frise et corniche. Le maçon est également tenu de construire un escalier en vis éclairé par une fenêtre croisée "à l’antique" à chaque repos, ainsi que trois cheminées en pierre de taille pour la cuisine, la salle basse et la salle haute, ces deux dernières devant également être faites "à l’antique". Le contrat est signé à Béziers, dans le palais épiscopal, en présence de trois témoins (le seigneur de Cers, le viguier de Narbonne ainsi qu’un habitant de Narbonne).
Malgré le décès d’Antoine de Lettes de Montpezat en décembre 1544, le projet semble avoir été entièrement réalisée – les travaux ont néanmoins pu être continués par ses fils Jacques (qui décède vers 1552) puis Melchior. La tour d’escalier en vis en est l’élément le mieux conservé. Bâtie en pierre de taille, elle présente des fenêtres encadrées de pilastres surmontés d’un entablement composé d’une architrave à trois fasces, d’une frise de caissons en pointe de diamant et d’une corniche. Cet entablement règne avec l’entablement couronnant les niveaux d’étage. L’allège des fenêtres est marquée par une table rectangulaire saillante. La qualité du décor comme l’utilisation de la pierre de taille témoignent de la grande attention portée à cet organe de circulation dès sa conception. La frise en pointe de diamant évoque notamment la Maison des Trois Nourrices à Narbonne (1558) ou encore la cour du château de Couiza, probablement réalisée dans les années 1560. Signalons, enfin, que des pavés armoriés aux armes de la famille de Lettes ont été retrouvés il y a quelques années à l'occasion de travaux (l'un d'entre eux, comportant une crosse d'évêque, représente les armoiries de Jean de Lettes, évêque de Béziers de 1537 à 1543)14.
Tour polygonale de l'escalier en vis.Tour polygonale de l'escalier en vis, élévation sur cour.Tour d'escalier en vis, entablement, détail.Tour d'escalier en vis, vue intérieure.
L’aile nord-est ainsi que les élévations des tours équipées de canonnières semblent également relever de cette même phase de construction. Edifiées en maçonnerie de moellons de moins belle qualité que celle de l’escalier en vis et remaniées aux 18e et 19e siècles, elles présentent néanmoins une composition que l’on devine assez similaire à celle de l’escalier en vis. On y retrouve le même jeu de ressauts entre les entablements de l’étage et des fenêtres ainsi qu’une architrave à trois fasces. Des différences de traitement apparaissent néanmoins : la frise à caissons en pointe de diamant disparaît, des ailerons encadrant les tables d’allèges sont ajoutés.
Vue aérienne oblique, tour sud.Aile nord-est, élévation extérieure.Tour nord, fenêtres à l'antique et entablement.Vestiges de l'aile sud-est, piédroit de l'ancien portail, côté gauche.
Dans la salle basse de l’aile est, une cheminée à colonnes ioniques, attribuable à cette même campagne, est également partiellement conservée. Masquée au 18e siècle par un décor en gypserie, elle a été dégagée et modifiée dans l’Entre-deux-guerres par l’architecte Paul Harant.
Aile nord-est, salle basse, cheminée. Aile nord-est, salle basse, cheminée, détail d'un chapiteau ionique.
Modernisations, destructions et restaurations du 18e au 20e siècle
Le château est à nouveau modernisé dans le troisième quart du 18e siècle par la famille Gauléjac (plafonds à la française, gypseries Louis XV)15. La transformation de l’élévation nord-ouest, qui s’est traduite par la suppression des fenêtres à meneau et l’ouverture des baies segmentaires, peut également être attribuée à la même époque.
A la Révolution, les armes au-dessus des portes d’entrées sont martelées ou arrachées, le château démeublé et laissé à l’abandon. Les héritiers de la famille de Gauléjac en restent néanmoins les propriétaires - la succession du 19e siècle à nos jours s’est toujours faite par les femmes, ce qui explique que les changements de noms successifs à chaque nouvelle génération. Au milieu du 19e siècle, le château est divisé et cloisonné entre deux sœurs, puis réunifié en 1925. Plusieurs travaux de restauration ont été réalisés au cours du 20e siècle : consolidation de la tour de défense sud, restauration de la tribune seigneuriale et de la tour de guet, reconstitution de la pièce d’apparat dans l’un des corps de bâtiments ruinés avant la Révolution, dégagement de l'enceinte du côté de la tour sud, réfection des toitures et des enduits16.
DESCRIPTION
Situation et composition d’ensemble
Le château primitif est construit au sommet du village sur une assise rocheuse dont il épouse les formes, lui donnant un plan général à peu près triangulaire. L’ensemble est défendu par deux tours rondes, flanquant le côté le plus long au nord et au sud. L’accès depuis la rue du château s’effectue par le biais d’une rampe caladée, bordée par une muraille crénelée probablement d’avantage destinée à soutenir les remblais de la rampe qu’à assurer une fonction défensive. Au sommet, un belvédère semi circulaire en saillie offre une superbe vue sur la campagne environnante. Cette terrasse mène à un espace libre autrefois occupé par un corps de bâtiment reliant la tour sud au corps de bâtiment nord-est. Il ne reste de cette ancienne aile que le départ d’une croisée contre la tour sud ainsi que les piédroits du portail, qui donnait probablement accès à un passage couvert distribuant l’étroite cour rectangulaire autour de laquelle se répartissent les bâtiments. Ils sont desservis par un grand escalier en vis occupant l’un des petits côtés de la tour.
Une seconde entrée est aménagée au sud. Elle est desservie par un escalier droit conduisant à une porte plein-cintre. Ce portail donne accès à un passage couvert reliant l’escalier à la cour intérieure. Côté cour, ce passage est ouvert par une large arcade brisée.
La tour ronde sud est une puissante construction de 8 mètres de diamètre, armée de canonnières superposées. La tour nord-est était également par des canonnières superposées.
A gauche de la tour d'escalier en vis, une galerie équipée d'un puits très profond donne accès à la cuisine.
Matériaux
Les murs sont construits en pierre de plusieurs qualités : calcaire coquillier, grès et marnes jaunes. Ces roches, probablement extraites à proximité du site, correspondent à une formation géologique du Miocène moyen occupant une grande partie de l’actuel territoire communal. Les gisements sont composés de marnes, marnes sableuses, grès, calcaires et grès coquilliers de couleur jaune (m2 carte de Saint-Chinian) et de marnes bleues jaunissant en surface entrecoupées de bancs de calcaires coquilliers parfois gréseux ou calcaires-lumachelles (m2a carte de Pézenas). Ces pierres ont largement été employées dans les constructions du Bas Moyen Âge jusqu’au 19e siècle à Puissalicon (ouvrages de fortification, maison des Evêques, maisons, moulin à vent…).
Les corps de bâtiment en pierre de taille présentent un moyen appareil réglé (ailes sud-ouest et tour d’escalier). Les autres sont en moellons noyés dans du mortier.
Elévations
Le corps de bâtiment nord-est est ouvert côté rampe d’escalier par trois niveaux d’ouvertures segmentaires. La modénature règne avec les tours et souligne les différents niveaux : bandeau mouluré entre le soubassement et le rez-de-chaussée surélevé, entablement couronnant le premier étage.
Côté cour, l’escalier en vis, logé dans une tour polygonale, est éclairé par des fenêtres encadrées par des pilastres et surmontées d’un entablement à frise de caissons en pointe de diamant. L’allège des fenêtres est marquée par une table rectangulaire saillante. L’aile nord-ouest s’ouvre au rez-de-chaussée par une série d’arcades brisées desservant les anciennes écuries, à l’étage par des croisées à encadrement saillant mouluré. La façade postérieure, face à l’église paroissiale, présente un coffre de cheminée extérieur en encorbellement (qui a longtemps été confondu avec un carcan) en partie détruit.
Ouvrages de charpente
L’étage de l’aile sud-ouest est occupé par de grandes pièces d’habitation en enfilade couvertes de plafond en bois dont les poutres reposent sur des corbeaux à profil de goutte.
Distribution intérieure
La salle du rez-de-chaussée possède une cheminée monumentale à chapiteaux ioniques. Les murs sont recouverts d’une toile peinte en camaïeu de bleu datée de 1720. Les dessus-de-porte, également du 18e siècle, représentent des paysages de moulins (il s'agit probablement des moulins de la Dourbie, qui étaient la propriété de la famille de Gaulejac17).
Photographe prestation Fish Eye dans le cadre de l'étude du patrimoine industriel du département de l'Hérault de 2011 à 2013