Texte de Jean Nougaret dans le Guide du patrimoine de Languedoc-Roussillon

L'église abbatiale

Une église destinée à remplacer la primitive abritant le corps saint est entreprise dans le dernier quart du 11e s. : Urbain II en bénit l'autel en 1096. Au cours des premières années du 12e s., les conflits entre l'abbé et les comtes de Toulouse interrompent le chantier qui ne reprend qu'en 1116, comme l'atteste une inscription sur le premier contrefort à droite. C'est alors qu'intervient un ambitieux changement de parti : l'église en construction autour de la confession primitive devient l'église basse, à laquelle vient se superposer une église haute. En 1120, des conflits entraînent un nouvel arrêt des travaux qui ne reprennent qu'en 1132, pour se poursuivre sans interruption jusqu'en 1179. Une dernière campagne peut être située entre 1185 et 1209, mais la jonction entre le chœur et la nef ne sera réalisée qu'au 14e s.

L'église basse, de plan rectangulaire, formée de trois vaisseaux, est située sous les six premières travées de l'église haute et non sous le chœur. Cette situation, inhabituelle pour une crypte romane, est due au souci des bâtisseurs de la fin du 11e s. de conserver, dans la quatrième travée, la confession qui abritait le tombeau du saint et de ne pas déplacer le sarcophage vénéré. L'église basse, en dépit des remaniements dont elle a fait l'objet à partir de 1865, après la redécouverte du corps de saint Gilles, témoigne de la lenteur et des interruptions du chantier, et surtout des hésitations des maîtres d'œuvre sur la façon de couvrir les vaisseaux durant toute la première moitié du 12e s. Des voûtes d'arêtes couvrent la confession et une travée du collatéral droit, des ogives très surbaissées, de section rectangulaire, ont été lancées au-dessus du vaisseau central et du collatéral gauche, tandis que les dernières travées du collatéral droit ont reçu des ogives du gothique français. La travée précédant la confession présente un décor particulièrement soigné : piliers et pilastres cannelés, ogives ornées d'un ruban plissé ; à la clef, Christ bénissant, très proche, par le style, des sculptures de la façade.

Telle qu'elle se présentait à son achèvement, l'église haute avait le plan traditionnel des églises de pèlerinage : trois vaisseaux, transept peu saillant, chœur à déambulatoire pourvu de cinq chapelles rayonnantes. Elle a subi à deux reprises, en 1562 et 1574, les rigueurs des conflits religieux. Transformée en forteresse jusqu'en 1621, elle est à cette date partiellement détruite sur ordre du duc de Rohan, chef du parti protestant. Le clocher, le chœur et une partie des nefs sont abattus, et seule la façade, déjà mutilée en 1562, est épargnée. La reconstruction interviendra entre 1650 et 1655, campagne où seront réutilisés les murs latéraux et les premiers piliers de l'ancienne nef. Le nouvel édifice, voûté d'ogives, est alors réduit à cinq travées et terminé par une abside polygonale établie à la hauteur du transept disparu. Un mur de façade, accompagné d'un modeste clocher, est établi au-dessus du portail roman préservé. La Révolution consomme la ruine définitive de l'ancien chœur, dont les fouilles récentes ont révélé la structure initiale.